L'implosion des régimes autocratiques ne peut-être perçue comme une avancée pour tous les démocrates, mais ceux-ci auraient dû et doivent anticiper les dangers d'une dérive, vers une dictature encore plus pernicieuse, la dictature théocratique, qui risque d'étouffer dans l'œuf, les aspirations, tant à la démocratie qu'à la modernité, au nom d'un réflexe identitaire, lui aussi réel dans ces sociétés. Les responsables américains, ont été pris au dépourvu, puis laissé entendre qu'ils sont prêts à s'accommoder de régimes islamistes, pourvu que ceux-ci respectent la démocratie formelle. C'est aller au devant de désillusions certaines et faire preuve d'une méconnaissance absolue à la fois de la nature de ces mouvements dits islamistes et de la complexité de la situation dans cette sphère arabo-musulmane. Les mouvements islamistes, dans tous les pays concernés, présentent une forme en arc-en-ciel. Ils sont des islamistes qui acceptent les urnes et promettent le respect des autres sensibilités, tout en menaçant du recours à la rue, à ceux qui rejettent toute l'organisation sociale et la qualifient d'impie. Le lien entre eux c'est le projet sociétal, un Etat théologique ou l'individu n'existera plus, au profit d'une communauté dirigée par les doctes en religion, fermée sur elle-même puisque l'Occident est judéo-chrétien, donc forcément ennemi. Pour la perspective historique, les différentes colorations n'ont pas d'importance. En Iran, elles se sont estompées quelques mois après la chute du Shah au profit de la tendance radicale. C'est le projet qui prime, pas ses déclinaisons. Du point de vue de l'histoire, les philosophes Heidegger et Cioebels ont tous deux participé à l'horreur nazie. Les sociétés dites musulmanes ne sont pas majoritairement acquises à ce projet sociétal, loin de là. Elles sont largement traversées par une aspiration démocratique, moderniste, ouverte sur l'universel. Seulement ces tendances ne sont pas fortement exprimées par un courant politique unifié. Les élites qui portaient ce projet ont souvent été assimilées aux anciens régimes, qu'elles présentaient comme un rempart contre l'islamisme ou par opportunisme d'élévation sociale. Dans ce contexte, l'aspiration égalitaire, le refus de la précarité et de la pauvreté prennent le dessus et offrent un champ aux régressifs pour développer un discours populiste. Le conservatisme présent au sein de ces sociétés ne peut-être assimilé à une adhésion au projet théocratique. La situation est beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre "l'impressionnisme ambiant". La voie marocaine Cette incompréhension a des conséquences catastrophiques. En Egypte, la mouvance islamiste prend en otage tout le processus et a réussi à créer une fracture durable entre Coptes et Musulmans. En Tunisie, "Annahda" en fait de même. Dans les deux pays, les extrémistes s'attèlent à museler la liberté d'expression, à interdire toute forme d'art et à s'attaquer aux libertés individuelles. Dans les deux pays, les courants islamistes sont une force réelle, mais ne sont pas majoritaires. Seulement en face, c'est l'émiettement absurde. Les partis qui se réclament d'une certaine sécularisation de la religion, d'un Etat moderne, sont des dizaines en Egypte, des centaines en Tunisie. Dès lors, le bloc islamiste fait figure de favori. En Lybie c'est encore pire, puisque Tripoli est tenue par des anciens d'Al Qaïda et que les insurgés de Misrata, qui encadrent la nouvelle armée sont issus de la même mouvance. Au Maroc, le Roi Mohammed VI a ouvert la voie vers une démocratie mature. La nouvelle Constitution marocaine transfère l'essentiel des pouvoirs au chef du gouvernement. Le Conseil du gouvernement constitutionnalisé, a toutes les clés entre les mains. Le parlement a les mêmes pouvoirs que les assemblées représentatives des grandes démocraties. La nouvelle Constitution dépasse la question de l'équilibre des pouvoirs, pour inscrire l'Etat marocain dans la modernité. Ainsi, elle stipule l'adhésion du Maroc aux valeurs universelles, surtout en matière des droits humains étendus à l'économie et à l'environnement. Elle consacre aussi la suprématie des conventions internationales et donc la nécessité d'adapter les lois marocaines à celles-ci. C'est une avancée immense qui permet de sortir les droits de la femme par exemple, du piège des préceptes religieux. L'indépendance de la justice est consacrée de même que des institutions permettant de combattre la corruption, l'économie de rente ou l'atteinte aux droits de l'homme. Mais pour appliquer ces principes démocratiques, il faut des hommes et des femmes capables de transmettre ces valeurs au simple citoyen et de faire face à l'obscurantisme. Il faut un front large des démocrates, résolument engagés autour des valeurs universelles pour éviter ce hold-up sur le printemps arabe. Au Maroc, huit partis ont monté une coalition pour la démocratie pour y répondre. L'original c'est que ce n'est pas une coalition électorale. Elle réunit des partis allant de la droite à l'extrême-gauche. C'est une coalition autour des valeurs de modernité et de progrès qui défend un projet de société contre celui des islamistes radicaux, présenté comme obscurantiste. Cette démarche est l'unique moyen de mobiliser, en connaissance de cause, les citoyens. Il permet aussi d'obliger les islamistes radicaux à mettre sur le tapis leur projet sociétal, au lieu de se limiter à des slogans populistes tels que "la justice", "la dignité" ou "la solidarité" difficiles à combattre dans l'absolu. C'est ce genre de démarches que les Occidentaux devraient encourager, voire susciter, s'ils veulent éviter que le printemps arabe ne se transforme en brasier régional. Article publié dans le Hudson Institute.