Selon Mohamed Ameur, ministre délégué chargé de la Communauté marocaine résidant à l'étranger, les ressortissants marocains ont commencé à être rapatriés dès le début des événements que connait la Libye, rappelant que les procédures de rapatriement sont toujours en cours. Jusqu'à présent, ils sont 3000 Marocains à être rentrés au bercail depuis Tripoli, grâce notamment à l'augmentation du nombre des vols entre la capitale libyenne et Casablanca en accord avec la Royal Air Maroc. Plusieurs autres Marocains ont pu rejoindre le pays à partir des frontières tunisienne ou égyptienne. Et pour répondre à l'urgence, deux navires de respectivement 2000 et 1800 places ont été affrétés par le Maroc. Ils ont rejoint les ports de Tripoli et Benghazi pour revenir le 4 mars 2011 à Tanger Med avec à leur bord 3800 nouveaux réfugiés. Sila plupart des compatriotes ont demandé à être rapatriés, d'autres ont choisi de rester en Libye par crainte de perdre leurs biens et leur argent. Mahmoud et Aziz Leflouss, Abdelhadi Talha et Ali M. sont trois Marocains résidant en Libye. La bourse ou la vie? Leur choix est fait. Récit. Mahfoud et Aziz : Rescapés de l'horreur Mahfoud et Aziz Leflouss, deux jeunes artisans marocains dans le bâtiment, âgés respectivement de 21 et 26 ans, résident à Tripoli depuis trois ans. Depuis le début de l'insurrection populaire en Libye, les deux frères, originaires d'Agadir, n'ont qu'une seule idée en tête : rentrer au Maroc. «Lorsque les manifestations de protestation contre le régime de Kadhafi ont éclaté à Benghazi, on ne mesurait pas l'ampleur du danger puisque le calme régnait toujours dans la capitale», raconte Aziz. Après Benghazi et plusieurs autres villes, Tripoli connait le même sort. En pire. La capitale est noyée dans un fleuve de sang, les bâtiments sont incendiés et des avions de chasse tirent à l'aveuglette sur la foule des manifestants. On rapporte même que Kadhafi payait et continue à embaucher des mercenaires pour tuer les insurgés. «C'était un vrai massacre. On se serait cru dans un film d'horreur. C'est la première fois qu'on voyait des gens armés et des avions tirer sur des hommes, des femmes et des enfants sans distinction», se rappelle tristement Aziz. Dès le début des violences à Tripoli, les grandes entreprises étrangères rapatrient leurs employés et les communications fixes et sans fil sont coupées. La peur de mourir d'un instant à l'autre paralyse les gens, les étrangers particulièrement. Les conflits sanglants entre les protestants et les pro-Kaddhafi font des centaines de morts en moins d'une semaine. Plusieurs compagnies internationales sont incendiées et pillées et des ressortissants étrangers tués ou menacés. «On devait rentrer au Maroc à tout prix», soutient le jeune homme. C'est ainsi que les deux frères prennent contact avec les Marocains de leur ville, préparent hâtivement leurs bagages et cherchent un moyen de transport pour l'aéroport de Tripoli. «On a abandonné tous nos biens en Libye: argent, vêtements, maisons... La plupart des agences bancaires sont fermées, il était aussi très difficile de vider son compte avant de partir. On devait quitter le pays… ou mourir», narre Mahfoud. Sur la route de l'aéroport, les deux frères l'ont échappé belle en esquivant les tirs de milices armées. «Les Marocains sont respectés en Libye. Mais dans ce genre de situation, tous les étrangers deviennent objets de suspicion», ajoute-t-il. Arrivés à l'aéroport, leur calvaire est loin d'être terminé. C'était un lundi. Un brouhaha assourdissant enveloppe les lieux. Des milliers de Marocains, d'Egyptiens et de Syriens tentent d'acheter des billets pour rejoindre leurs pays respectifs. Les deux frères Leflouss doivent attendre cinq jours pour leur avion, prévu vendredi. «On se sentait légèrement plus en sécurité, même si on devait encore rester en Libye», précise Aziz. Au fil des jours, l'aéroport connait une activité sans précédent. En attendant leurs vols, les voyageurs commencent à manquer de nourriture. «Les prix des quelques sandwichs qui restaient dans les restaurants de l'aéroport n'ont cessé de grimper, au grand dam des familles avec enfants, qui ont enduré une faim terrible durant ces quelques jours», se remémore Mahfoud. Mercredi matin, le groupe de Marocains dont le vol était prévu pour vendredi embarque finalement dans un avion à destination de Casablanca. La joie des deux frères est indescriptible. «On préférait mourir dans un crash d'avion plutôt que de finir nos vies tués en Libye», soutient Aziz. Arrivés au Maroc, les Leflouss ont toujours du mal à croire qu'ils sont sains et saufs. Secoués de sanglots d'épuisement et de soulagement, les deux hommes peinent à cacher leur émotion sur le tarmac de l'aéroport. «Au beau milieu des bains de sang à Tripoli, notre famille nous paraissait très lointaine. On pensait qu'il fallait qu'un miracle se produise pour qu'on puisse rentrer au pays», se remémore le jeune homme. Après quelques jours passés au Maroc entourés de leurs proches, les deux frères espèrent vivement que les choses s'arrangeront bientôt en Libye pour y retourner. «On y a construit notre avenir. Si on revient définitivement au Maroc, on devra tout recommencer à zéro. On est vraiment perdus. C'est malheureux», conclut Aziz. Abdelhadi Talha : «Destination Tunisie Abdelhadi Talha a du mal à se départir des images de Tripoli à feu et à sang. Du haut de ses 20 ans, ce jeune footballeur originaire de Settat s'est installé en Libye l'an dernier seulement, mais a vite réussi à se faire un nom dans le championnat national de son pays d'accueil. «J'ai suivi les soulèvements de la Tunisie et de l'Egypte. Cela n'a aucun rapport avec la tuerie de masse en Libye. Mais aucun rapport ! Les événements en Libye ont de plus très rapidement évolué sans que les gens ne s'en rendent compte», se rappelle le jeune homme. En voyant le massacre des femmes et des enfants libyens, il affirme que tous les étrangers sentaient leur fin approcher. «Les sons assourdissants des armes à feu et les râles déchirants des gens agonisant sur la chaussée dans leur sang me hantent toujours. Mes nuits sont peuplées d'atroces cauchemars. Je suis lessivé, je n'en peux plus!». A l'instar de tous ceux qui voulaient retourner à leurs pays d'origine, Abdelhadi fait des mains et des pieds pour dénicher un moyen de transport vers l'aéroport. «Il y a 100.000 Marocains en Libye. Si une poignée seulement ont réussi à retourner au Maroc, c'est certainement à cause de la rareté des moyens de transport», souligne-t-il. Après plusieurs jours de panique, le jeune homme réussit finalement à se débrouiller une place dans une voiture militaire siglée d'un dissuasif «Armes à bord». Une fois à l'aéroport, Abdelhadi attend sept jours avant d'embarquer. «Il n'y avait ni avions ni responsables à qui demander des renseignements. La terreur a gagné tout le monde. Tous les étrangers souhaitaient mourir chez eux», raconte-t-il. Il ajoute que plusieurs personnes sont arrivées avant lui à l'aéroport mais sans billet d'avion. «Lorsqu'on a enfin décollé, l'ambiance était beaucoup moins lourde. Tous les voyageurs se sont adonnés à des prières de remerciement. Certains pleuraient silencieusement», se souvient Abdelhadi. Après quelques jours au Maroc, le jeune homme est décidé à revenir en Libye une fois que la situation politique s'arrange. «Qu'est-ce que je resterais faire au Maroc ? Je n'ai aucun avenir professionnel ici. C'est décidé. J'attendrai quelques mois, le temps que les manifestations se calment. Si les protestations continuent, je pars travailler en Tunisie», souligne Abdelhadi. Ali M. : «J'y suis, j'y reste.» En 1995, Ali M., ouvrier, s'installe en pleine campagne en Libye, à plusieurs kilomètres de la capitale. Agé actuellement de 40 ans, ce père de quatre enfants n'est pas rentré au Maroc depuis plusieurs années. Lorsqu'on lui pose la question «Est-ce que vous comptez retourner à votre pays ?», Ali s'étonne et répond calmement «Pourquoi le ferais-je ?». C'est que ce père de famille habite loin de toutes les villes où l'insurrection bat son plein. «Je ne suis pas touché par tous les événements qui ont lieu en Libye. Je vis avec ma petite famille, travaille comme d'habitude et mes enfants vont normalement à l'école», assure Ali. Depuis 16 ans, cet artisan ouvrier construit lentement mais sûrement son avenir et celui de sa petite tribu dans son pays d'adoption et ne compte pas l'abandonner: «Si je devais mourir, je préfèrerais finir mes jours dans ma campagne tranquille, entouré de ma femme et des mes enfants. Je n'ai aucune raison de quitter la Libye», conclut notre témoin.