L'heure joyeuse a 50 ans et pas une ride. Pour fêter ses cinq décennies d'action sociale dans la santé, l'éducation et l'insertion des jeunes, l'association présidée par Leila Benhima Cherif déploie les grands moyens. Ministres, haut cadres de l'administration et patrons d'entreprises publiques et privées ont fait le déplacement pour cet anniversaire. Un signe évocateur du poids de cette organisation. Cette association, créée en 1959, est une véritable machine de solidarité sociale. 43 salariés, 30 bénévoles, un budget de plusieurs millions de DH, des relations avec les cercles de décision politique et économique font de cette ONG un entrepreneur social, un partenaire reconnu des pouvoirs publics, des entreprises, des collectivités locales et du champ associatif. L'évolution de cette structure résume les mutations du secteur associatif. De petites structures dominées par l'amateurisme, les associations se professionnalisent. Une transition qui ne manque pas de créer des remous. Le PAS créateur d'ONG ! Aïcha Ech-Chenna, icône de l'associatif au Maroc et symbole de la montée en puissance de ce secteur dans la société est consternée. «Comment l'Etat ose nous demander de payer des impôts? Les associations rendent un service énorme à la communauté et c'est aux pouvoirs publics de nous rémunérer sur ce que nous faisons», s'insurge cette femme passionnée par l'action sociale. La colère de Ech-Chenna est le symptôme de métamorphoses encore mal digérées par le secteur associatif. À partir de l'indépendance, le Maroc connaîtra la création d'associations culturelles et sportives, mais l'associatif sera dominé, jusqu'aux années 80, par des structures à caractère revendicatif et plus précisément à contenu politique. «Le Programme d'ajustement structurel (PAS) appliqué au Maroc à partir de 1981 poussera les acteurs sociaux à créer d'autres associations qui auront pour vocation de combler le vide dans les secteurs sociaux», analyse Mourad Gourouhi directeur exécutif de Tanmia.ma et expert du tissu associatif marocain. À partir de cette époque, une vague d'associations dites de développement verront le jour, et la décennie 90 connaîtra un grand essor de ce type de structures. Pour décrire cette époque, M. Gourouhi compare le Maroc à un terrain de tennis. «L'Etat et les associations revendicatives jouaient un match interminable et ceux qui campaient le rôle des ramasseurs de balles sont les associations de développement. En d'autres termes, ces structures ont comblé le vide dans des domaines comme la santé et l'éducation». Dès lors, des associations commencent à initier des actions dédiées exclusivement à l'Etat auparavant. «Les Marocains avaient besoin d'eau potable dans leur douar, d'installations sanitaires ou de réhabilitations des écoles, les associations se sont retrouvées à piloter ces projets», ajoute notre expert du monde associatif. Vers les droits socio-économiques En plus de ce changement lié à la remise en cause du rôle de l'Etat, l'évolution politique au Maroc avec la nomination du gouvernent d'alternance de Me Youssoufi et l'arrivée du roi Mohamed VI au pouvoir en 1999 contribue également à dynamiser le rôle des associations. «On est passé d'une configuration où l'autorité détenait l'ensemble de l'espace public, vers une situation où le politique s'est imposé sur la scène pour arriver enfin à un troisième niveau, qui est celui de la société civile. Aujourd'hui, le secteur a des multi-activités, en appoint par rapport à des insuffisances de l'Etat», commente Mostapha Mellouk, président de l'Association Casablanca carrières centrales (ACCC). Au début des années 2000, un autre tournant se produit. En plus des droits civils et politiques, les associations revendicatives réajustent leurs missions vers les droits socio-économiques. Les associations de développement feront la même démarche et adopterons les droits civils et politiques, à travers la méthode du plaidoyer avec des demandes précises. «À partir de ce moment, ces deux types d'associations tentent de cohabiter loin de l'adversité et dans la complémentarité», observe M. Gourouhi. Désormais, on classifie les associations selon leur périmètre d'intervention. Pour une association locale, elle a le grand avantage de la proximité alors qu'une structure nationale, elle, dispose de capacités organisationnelles et d'expertise pour pouvoir porter des projets budgétivores comme le renfoncement de capacités ou les missions de plaidoyers. Les autres critères sont la capacité de mobilisation sociale et financière des associations, ainsi que le rapport qu'elles ont avec les bailleurs de fonds et avec le centre de décision, politique. Ces critères obligent les associations à s'organiser et à se professionnaliser. L'impôt de l'infortune Si pour Ech-Chenna, il est hors de question de payer des impôts, Abdelhafid Rerhaye, membre dirigeant de L'heure joyeuse est pour le fait que le tissu associatif «contribue aux fonds nécessaires pour le bon fonctionnement de l'Etat. On ne peut y échapper. Peut-être faut-il commencer par penser à faire un plaidoyer pour que les associations soient exonérées, et dans ce cas, ça va être une dépense fiscale prévue par la loi de finance», propose-t-il. En matière de fiscalité, les ONG souffrent de deux poids et deux mesures. «D'un côté, nous sommes soumis au Code du travail pour les salariés que nous employons, mais quand il s'agit de nos achats et nos charges d'exploitation le Code du commerce ne s'applique plus à nous», proteste le directeur exécutif de Tanmia.ma. Ce déphasage coûte cher aux associations. Elles n'arrivent pas à déduire les charges de leur bilan et ne récupèrent pas la TVA, «au final, on paye plus d'impôt que les entreprises. Prenons le cas de la vignette, dans certaines régions du Maroc, les entreprises sont exonérés de la payer, alors que les associations sont obligées de la payer à plein tarif partout au Maroc. Il faut un débat national sur cette question», ajoute M. Gourouhi. Transparence pour les bailleurs Seules les associations organisées administrativement et financièrement sont capables d'honorer leurs engagements vis-à-vis de l'Etat. Pour y arriver, L'Heure joyeuse est accompagnée dans sa gestion financière par le cabinet Deloitte & Touche et auditée par le cabinet Ernest & Young. Une exception au Maroc ? «Pas vraiment, l'audit a commencé dans le milieu associatif à partir de 1996. Elles étaient une dizaine à l'époque, aujourd'hui un grand nombre d'associations fait appel à des cabinets reconnus pour garantir une transparence financière», précise M. Gourouhi de Tanmia.ma. Des contrôles plus sévères face à des bailleurs de fonds pointilleux. Depuis, l'Etat a ouvert la voie à toutes les associations pour recevoir des fonds de bailleurs internationaux, même pour ceux qui ne sont pas d'utilité publique. Désormais pour recevoir des fonds de l'étranger, il suffit de faire une déclaration auprès du Secrétariat général du gouvernement. Grâce à cette mesure, le tissu associatif marocain frappe aux portes des offices de l'ONU au Maroc, à l'USAID et les différentes agences nationales comme l'Agence canadienne de développement international (ACDI) ou sa consœur française l'Agence française de développement (AFD). À cela s'ajoutent les différentes ambassades des pays du G8, spécialement la nippone, très active dans le soutien des projets de développement rural. Ce beau monde propose des fonds mais demande surtout des projets bien ficelés et une comptabilité aux normes internationales, seul chemin pour y arriver selon M. Mellouk, «le mouvement associatif doit dépasser du stade de l'amateurisme, ou quelques exemples de réussites existent, vers une professionnalisation, il aura beaucoup à y gagner pour le Maroc».