Sont-ils morts dans le brasier d'un champ de bataille ? Ont-ils été assassinés par des terroristes que personne n'aurait pu désarmer ou ont-ils été sacrifiés à la raison d'Etat au cours d'une intervention des Forces spéciales qui ne leur laissait quasi aucune chance de survie ? S'agissait-il d'une opération «Rescu» pour libérer des innocents ou d'une action de guerre pour neutraliser des terroristes ? Répondre à ces questions, c'est juger la détermination de la France face à Al Qaïda qui a su se tailler en fief dans cette région du Sahel. D'ors et déjà, la mort des deux jeunes gens tourne une page dans la longue histoire des otages français détenus à l'étranger. Le préambule remonte à la guerre du Liban. Beyrouth a réinventé la guerre urbaine et la guerre subversive, du sniper aux voitures piégées, du nettoyage ethnique aux prises d'otages. A l'époque, l'Iran mène une guerre impitoyable mais dissimulée. Les nouveaux maîtres de Téhéran veulent décourager les livraisons d'armes à Saddam Hussein. Ils tiennent aussi à récupérer le milliard de pétrodollars que le Shah avait investi dans une usine nucléaire et les stocks d'uranium enrichi auxquels ils ont théoriquement droit… Pour imposer ce règlement à Paris, des miliciens chiites encadrés par des Gardiens de la révolution vont enlever et jeter aux oubliettes une poignée de Français choisis au hasard : journalistes, fonctionnaires, techniciens. Leur calvaire a duré des années. Tous les soirs, les chaînes de télévision publique tenaient la comptabilité des jours écoulés. Cette litanie démoralisante a marqué une génération de téléspectateurs. La libération des otages a sonné comme une délivrance pour tout un pays. Leur retour à l'aéroport de Villacoublay, à bord d'un jet aux couleurs de la République, avec l'accueil par leurs proches en larmes et par le Président flanqué de ses ministres a été une fête nationale. C'est même devenu un rituel. Car la scène initiale s'est répétée au fil des années. Humanitaires, reporters, militaires enlevés en Afghanistan, en Irak, en Afrique, dans le Caucase, en Amérique latine, dans l'ex-Yougoslavie… L'otage français était réputé au marché aux esclaves ! Pendant un quart de siècle, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy n'ont eu qu'un souci : ramener sains et saufs les malheureux à la maison. L'obtenir à tout prix. Et fêter leur retour devant les caméras. Ils en ont espéré de grands bénéfices électoraux. Ils étaient prêts à tout pour cela. Raconter ces opérations donnerait matière à plusieurs romans. A la longue, c'est devenu un système. On a vu un ministre des Affaires étrangères s'installer avec son cabinet à Amman pour mieux marchander avec des bandits de grands chemins, la délivrance d'un otage dont le cours ne cessait de monter… Mieux ou pire : en s'installant à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a laissé dire que la libération d'Ingrid Betancourt était l'urgence et la priorité de sa politique étrangère. Le nouveau président s'est fait une spécialité de ces sauvetages. Il a obtenu que le colonel Kadhafi libère les infirmières bulgares, qu'Idriss Deby relâche des humanitaires égarés, que le Président dominicain gracie des dealeuses de cocaïne. Mais les discussions hasardeuses avec la guérilla colombienne n'auront servi à rien : c'est l'armée de Bogota qui a délivré la franco-colombienne par la ruse. Ce coup de théâtre a réveillé les Français d'un mauvais rêve. Depuis cette date, ils ne s'interdisent plus l'usage de la force. Au Sahel, on dirait même qu'ils la souhaitent. L'attaque du commando d'Al Qaïda au Maghreb islamique est la deuxième tentative de libération d'otages par les Forces spéciales en l'espace de six mois. Deux opérations impeccablement menées sur le plan technique et deux échecs sanglants. En juillet, la Katiba attaquée ne détenait plus son prisonnier. Et pour cause : Michel Germaneau était déjà mort, faute de soins. Samedi 8 janvier, le convoi des ravisseurs a été repéré et l'assaut mené à temps, avant que les otages ne s'évanouissent dans le massif de Timétrine où Abou Zeïd reste insaisissable. Les ravisseurs ont été stoppés mais les otages n'y ont pas survécu. La classe politique et l'opinion ont quand même applaudi, en se réjouissant de la fermeté du gouvernement. Des experts ont parlé de révolution mentale. Ils en ont déduit que la France avait décidé de dévaluer ses otages. Elle ne paierait plus à n'importe quel prix, les coupeurs de routes, les trafiquants de chair humaine et autres marchands d'esclaves… Avis aux Français qui voyagent et à ceux qui vivent expatriés : s'ils tombent entre de mauvaises mains, leur vie ne sera guère marchandée. L'analyse est séduisante mais fausse. Elle oublie qu'en Afghanistan les palabres continuent avec les Talibans qui détiennent deux journalistes depuis un an et qu'en Somalie, les marchandages vont se poursuivre avec les Shebab qui ont capturés un agent de la DGSE. Pour mesurer la fermeté dont Paris fait preuve dans le seul Sahel, il faut savoir qu'AQMI refuse toute discussion avec la France. Les médiations tentées par des émissaires après la capture de 7 salariés d'Areva au Niger ont tourné court. Les ravisseurs ont rejeté les médicaments pourtant indispensables à l'une des otages et ils ont refusé de fournir des preuves de vie. Pas de dialogue, aucune perspective. D'où un pessimisme radical sur le sort des sept otages : ils sont près d'être considérés comme perdus. La guerre aux terroristes du Sahel ignore toutes les règles. Elle sera implacable.