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Le fatalisme, obstacle au développement
Publié dans L'observateur du Maroc le 12 - 11 - 2010

Les psychologues parlent du «locus (lieu) de contrôle» interne et externe pour faire la différence entre les individus qui pensent que le «lieu de contrôle» de leur vie réside en eux-mêmes, se sentant maîtres de leur propre destin, et ceux qui pensent que ce lieu est extérieur, en dehors d'eux, croyant que ce sont donc des forces externes qui conditionnent leur vie. En un mot, c'est la différence entre les individus proactifs et les fatalistes. Voilà un premier niveau d'analyse pertinent pour la problématique du développement : l'esprit proactif se voit acteur du changement. Or, c'est ici une composante essentielle de l'esprit d'entreprise qui est au cœur de la dynamique du développement : l'entrepreneur, du vendeur de coin de rue à Steve Jobs, par son action, «change les choses», innove, apporte des services là où ils manquent. En bref, il crée de la valeur. Et sans esprit entrepreneurial, du fait d'une attitude fataliste, pas de développement.
La deuxième conséquence de l'attitude fataliste est toute aussi importante et se combine avec la première. C'est l'idée que n'étant pas maître de mon destin, je n'en suis donc pas responsable. Or, le concept de responsabilité est aussi fondamental pour une société d'échanges anonymes basée sur les contrats. Si, lorsqu'un contrat est passé et qu'il n'est pas respecté par l'une des parties, cette dernière arguant que «ce n'est pas sa faute», et se dégageant ainsi de manière trop facile de sa responsabilité, c'est évidemment une incitation très forte pour la partie adverse à ne plus faire confiance. Il y a un lien fort entre le fait que dans une communauté les individus soient responsables (qu'ils assument leurs erreurs et cherchent à les corriger sans se défausser sur «la faute à pas de chance») et le fait que ces individus éprouvent un sentiment de confiance les uns envers les autres. Or, la confiance permet de tisser des réseaux au-delà de nos connaissances familiales ou amicales, un ingrédient essentiel du développement. Et le fait que l'on nous fasse confiance dans un cadre où notre responsabilité est engagée, nous pousse à être d'autant plus responsable, de sorte à ne pas éroder ce capital-confiance. Responsabilité individuelle et confiance mutuelle se renforcent donc mutuellement, et favorisent le développement.
De ce point de vue, on trouve dans la culture de certains pays en développement, qu'ils soient à dominance chrétienne ou musulmane, l'expression «si Dieu veut» ou «Inchallah», qui peut devenir problématique. A l'origine, cette expression participe d'une humilité et d'une modestie face à la volonté de Dieu. Elle signifie ainsi : «je m'engage à effectuer quelque chose, mais sachant que la volonté de Dieu est plus forte». Ceci n'implique en aucun cas ici fatalisme ou irresponsabilité : la volonté divine au sens de validation n'exclut pas la volonté humaine, sinon Dieu n'aurait pas de raison pour juger les humains puisque tout ce qui leur arrive serait de Son œuvre. La volonté divine laisse ainsi une marge de manœuvre à la volonté humaine et à la responsabilité individuelle. Malheureusement, cette attitude d'humilité a été détournée. On a fait de l'expression un prétexte pour échapper à ses propres responsabilités, ne pas assumer ses engagements et développer une espèce de fatalisme irresponsable. Ce dernier inhibe l'esprit d'entreprise et sape, par le biais de l'absence de responsabilité, la confiance mutuelle, deux attitudes essentielles pour le développement.
Pourtant, au vu des gains (en termes de développement) qu'il y aurait pour les individus à adopter une attitude proactive et responsable, pourquoi assiste-t-on en certains endroits à ce retranchement fataliste ? La culture à elle seule peut-elle expliquer sa propre puissance ? En fait, bien souvent la prévalence d'institutions informelles (les traits culturels) peut s'expliquer en grande partie par les institutions formelles (codifiées par le politique). Ces dernières fournissent les incitations à se comporter de telle ou telle manière. Dans les sociétés dans lesquelles les incitations à l'attitude proactive (par exemple, où la liberté économique est très faible) sont réduites à néant par le pouvoir, c'est-à-dire des «sociétés sans espoir», les individus se tournent peu à peu vers le fatalisme. Les mauvaises institutions informelles et formelles se renforcent ainsi mutuellement pour tirer les populations vers le bas.
Il est alors d'autant plus difficile de réformer les institutions formelles que les institutions informelles ont été dégradées. Nul doute d'ailleurs que le pouvoir, ayant étouffé l'espace de responsabilité des individus par des politiques supprimant leurs libertés, les jetant dans les bras du fatalisme irresponsable, trouve alors dans ce dernier un prétexte pour diriger d'une main de fer toujours plus dure une population qu'il considère comme apathique. L'instrumentalisation du fatalisme à des fins politiques permet d'ailleurs un meilleur contrôle social.
Pour sortir de ce cercle vicieux il faut d'une part que les croyants retrouvent une interprétation intelligente de la Parole de Dieu qui leur commande de s'épanouir pour faire le bien, ce qui implique de se débarrasser de ce fatalisme irresponsable. D'autre part, il faut que les décideurs politiques soient mis en face de leurs responsabilités, par leurs pairs dans les pays libres comme par la société civile internationale (qui doit aussi faire pression sur ces derniers). La «société sans espoir» ne doit plus être une fatalité.
* Emmanuel Martin et Hicham El Moussaoui sont analystes sur UnMondeLibre.org.


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