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Entretien – L'ancien juge français Marc Trévidic, Spécialiste de l'anti-terrorisme : « Il faut couper les sources de financement du salafisme européen ! »
Un réseau terroriste tentaculaire qui étend ses ramifications de Paris à Rotterdam en passant par Bruxelles : délinquants, terroristes, hébergeurs, convoyeurs, pourvoyeurs d'armes, tous trouvent dans certains quartiers de ces villes un terreau favorable. L'omerta de tout un quartier, des liens de solidarité. La nébuleuse djihadiste est composée de plusieurs cellules distinctes. Abaoud était au centre de ce réseau. Son fief : Saint-Denis. Son arrière-base : Molenbeek. Les attentats de Villejuif, du Thalys, du musée juif de Bruxelles, trouvent déjà leur origine dans cette galaxie. Puis ceux de Paris et Bruxelles. D'autres cellules dormantes sont mises au jour. Entretien réalisé par Olivier Stevens L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Que pensez-vous de la nébuleuse Abaoud, récemment démantelée ? Le juge Trévidic : On se rend compte que ces «djihadistes» gèrent non seulement un espace mais qu'ils ont aussi une histoire, une filiation. Dans la nébuleuse autour d'Abaoud on retrouve d'anciens Syriens, d'anciens Irakiens, mais aussi des responsables de l'assassinat du commandant Massoud en 2001 à la veille des attentats de Bruxelles. Leur aura internationale est importante. C'est inquiétant. Pourquoi avoir réagi si tard ? L'enterrement d'Ibrahim Abdeslam a marqué un tournant dans les enquêtes et Reda Kriket était suivi depuis très longtemps. Surveiller des suspects sans les arrêter immédiatement est un choix risqué, une décision prise au plus haut niveau. A Argenteuil, on a découvert un arsenal impressionnant. On était à la veille d'un attentat énorme peut-être plus important que celui du Bataclan. Les réseaux terroristes sont constitués de 10 à 100 personnes. Il faut du temps pour resserrer les mailles de ce type de filet. Que pouvez-vous dire du profil des djihadistes ? Aucun des trois terroristes du Bataclan n'était un délinquant. Aucun des trois n'est allé en prison. Pourtant, ils réalisent un jour une opération kamikaze. Ils ont une ceinture d'explosifs. Une absolue nouveauté. Il n'y a pour certains de ces individus aucune traçabilité. A Charlie Hebdo et à l' Hyper Casher on avait des pistes mais pas ici, ce qui rend les choses très dangereuses et difficiles. La clique Abaoud était constituée de 30 personnes et avait son centre à Molenbeek. Les armes transitaient par l'Allemagne, c'est nouveau pour nous. Vous parlez donc d'internationalisation des filières ? Oui. Ce qui est inquiétant, c'est que si les ramifications de ces réseaux, en plus de contrôler des quartiers entiers en Europe comme à Paris, Bruxelles ou Rotterdam, s'étendent et sont à même d'être téléguidés de territoires conquis par l'E.I. en Syrie, en Irak ou ailleurs, cela signifie qu'ils disposent d'un réservoir de «matériel humain» énorme pour ne pas dire inépuisable. Si des kamikazes potentiels peuvent être acheminés vers la France, la Belgique ou les Pays-Bas via la route des Balkans et être accueillis et protégés par d'autres cellules dormantes dans certains quartiers, on est devant un problème d'ampleur dont nous prenons seulement conscience. Vous dites aussi que la religion n'est pas le moteur du djihad. Quels sont vos arguments ? Je crois que les conditions sociopolitiques sur le terrain sont les facteurs déterminants de l'engagement djihadiste, mais certainement pas l'islam en lui-même. Maintenant, il est évident que le mouvement salafiste est à la lisière de la religion et du radicalisme politique. Les terroristes n'ont pas suivi un enseignement religieux normal. On pourrait même dire que quelle que soit la cause à laquelle on leur proposerait de se sacrifier, ils y adhéreraient. On leur présente un monde musulman attaqué, corrompu et on leur dit qu'ils sont élus pour le régénérer et défier l'occident. Le salafisme est une dérive sectaire. Ils ne passent plus du tout par les écoles officielles du sunnisme qui ont développé le credo et la pensée théologique musulmane. C'est une idéologie de substitution pour les moins instruits. En outre, avec le wahhabisme, les musulmans se voient confisquer toute leur pensée. Refuse-t-on de voir un certain communautarisme ? Oui, sans conteste. On doit lutter contre cela. Il faut surtout arrêter de se coucher devant l'argent. Les idéologies salafistes et wahhabites sont véhiculées principalement par l'Arabie Saoudite et le Qatar. On se couche devant eux parce qu'ils sont immensément riches et libéraux économiquement. Coupez les sources de financement du salafisme européen et vous verrez qu'une grande part des problèmes sera réglée. La laïcité du discours officiel porté par les élites est artificielle et masque les vrais problèmes. Sur le terrain, ces compromissions débouchent sur un communautarisme non-dit, rampant et qui se développe de jour en jour. On devrait décider de se rapprocher de l'islam traditionnel plutôt que de faire la part belle aux encadrements hétérodoxes venus d'Arabie Dossier « De la délinquance à Daech » L'Observateur du Maroc et d'Afrique n° 349 du 08 au 14 avril 2016