Le débat sur l'incrimination de la rupture et du non jeûne en public ressurgit avec chaque Ramadan. Cette année et bien avant son arrivée, l'Union des chrétiens marocains a lancé un appel pour l'abrogation de l'article 222 du Code pénal marocain. Lors d'un direct sur sa page Facebook, Adam Rbati, le président de cette union a exprimé « son refus du monopole de l'espace public par les jeûneurs ». Loi liberticide Appelant à l'ouverture des cafés et des restaurants, le représentant de l'Union des chrétiens marocains a déclaré qu'il est temps d'en finir avec « une situation qui représente une sérieuse menace pour les personnes qui rompent le jeûne en public ». Une menace double : De poursuites judiciaires mais aussi de « la chasse aux sorcières » et d'une justice populaire « impitoyable ». En effet, l'article 222 du Code pénal stipule que « celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l'emprisonnement d'un à six mois et d'une amende de 200 à 500 dirhams ». Une loi liberticide selon le militant des droits humains Ahmad Assid. Ce dernier a par ailleurs suscité une vive polémique après avoir appelé à l'ouverture des cafés en journée pendant le Ramadan. Culture de la peur Dénonçant la fermeture forcée de ces établissements et l'arrestation de ceux qui choisissent de ne pas jeûner, Assid affirme que « Ramadan est devenu un système social oppressif pendant lequel des pratiques autoritaires limitent les libertés individuelles ». D'après l'activiste, jeûneurs et non-jeûneurs vivent dans un climat de violence, d'intolérance et de tensions donnant lieu à des agressions verbales ou physiques. « C'est une situation humiliante pour les non-jeûneurs. Certains doivent se cacher dans des lieux inappropriés, comme les toilettes, pour manger discrètement. Pourquoi oblige-t-on les citoyens à manger en cachette ? Pourquoi vivons-nous dans une culture de la peur ? s'interroge-t-il. Pointant du doigt l'article 222 du Code pénal, Assid estime que « cette loi n'a aucun fondement religieux. Cet article a été instauré sous le protectorat français. Le maréchal Lyautey l'avait introduit pour empêcher les citoyens français de rompre le jeûne en public, afin de préserver la paix sociale. Est-il logique d'appliquer une loi coloniale à l'ère de l'indépendance ? », s'exclame l'activiste en insistant sur le caractère personnel et individuel du choix du jeûne. Réforme à la racine Ravivant le débat sur la liberté de croyance et de culte au Maroc, la question de la rupture du jeûne en public divise toujours : D'un côté, les partisans des libertés individuelles défendent le libre choix de jeûner ; de l'autre, les conservateurs défenseurs des traditions religieuses qui estiment que le respect des sentiments de la majorité jeûneuse est un devoir moral. Allant plus loin, dans un document intitulé « Les Libertés fondamentales au Maroc : Propositions de réformes», élaboré par huit personnalités et intellectuels aux profils complémentaires : Asma Lamrabet, Yasmina Baddou, Monique Elgrichi, Khadija El Amrani, Driss Benhima, Chafik Chraïbi, Mohamed Gaïzi et Jalil Benabbés-Taarji, les auteurs émettent une proposition audacieuse de réforme à la racine. « Droit essentiel, la liberté de culte, de conscience et de religion, n'a pas été traitée par la Constitution 2011 alors que c'est une liberté fondamentale. Le collectif propose de ce fait l'amendement de l'article 3. Ce dernier stipule que l'Islam est la religion de l'Etat. La proposition du collectif se présente autrement : « La religion de la majorité des Marocains est l'Islam, dont le garant est Amir Al Mouminine qui garantit à toutes et à tous le libre exercice des religions, de cultes et la liberté de conscience ». Une proposition approuvée par ailleurs par les oulémas consultés lors de l'élaboration de cet ouvrage. Ces derniers estiment en effet que « Le Coran a définitivement réglé ce problème en reconnaissant la liberté de croyance et le respect du choix de la religion ». De son côté Adama Rbati, le président de l'Union des chrétiens marocains, affirme qu'une lettre a déjà été adressée au ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, pour réitérer l'appel à une réforme du Code pénal autorisant la rupture du jeûne en public. La fin de l'article 222 ? Une demande qui ne serait pas tombée dans l'oreille d'un sourd à en juger par la dernière sortie du responsable au Parlement. « Il est temps d'abroger l'article 222 du Code pénal. Une question aux Marocains : Vous jeûnez par conviction et pour Dieu ou pour ne pas être « provoqué » par un non jeûneur ? », questionne A. Ouahbi lors de la dernière séance de questions au parlement. Confirmant sa position, le ministre met en garde contre toute attaque contre les personnes qui ont choisi de ne pas jeûner. « Si quelqu'un s'avise d'agresser et de toucher un non jeûneur, il fera l'objet de poursuites judiciaires. C'est l'Etat qui se chargera de sa « réhabilitation » », menace Ouahbi. Se réjouissant des déclarations du ministre, l'Union des Chrétiens Marocains, s'en est aussitôt félicitée. « Les Marocains non musulmans auront désormais la possibilité de partager l'espace public en toute liberté. Le ministre a assuré que l'Etat assumera la responsabilité de protéger ceux qui choisissent de ne pas jeûner. Et c'est rassurant », conclut Adam Rbati.