Le Collectif Dounia pour l'interdiction du mariage des mineures ne lâche pas du lest. Revenant à la charge après l'annonce des grandes lignes de la nouvelle Moudawana en gestation, le collectif appelle à la suppression définitive des dérogations prévues dans le Code de la famille actuel et autorisant le mariage des filles de moins de 18 ans. Une forme de violence Lancée à l'occasion des 16 jours d'activisme contre les violences faites aux femmes, cette requête s'inscrit dans le cadre de la révision annoncée du Code de la famille, que le collectif considère comme une « étape cruciale » dans l'histoire de la législation marocaine et une occasion à ne pas rater pour l'éradication définitive du mariage des mineures. Coalition marocaine fondée en novembre 2020, le Collectif Dounia pour l'interdiction du mariage des mineures regroupe plusieurs associations œuvrant pour la protection des droits des enfants et l'éradication du mariage des filles de moins de 18 ans. A noter que la loi marocaine interdit le mariage des mineures mais prévoit toutefois des dérogations. « Articles à abolir » « Le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser l'union du garçon et de la fille avant l'âge de la capacité matrimoniale prévu à l'Article 19 ci-dessus, par décision motivée précisant l'intérêt et les motifs justifiant ce mariage. Il aura entendu, au préalable, les parents du mineur ou son représentant légal. De même, il aura fait procéder à une expertise médicale ou à une enquête sociale » stipule en effet l'article 20 du Code de la famille. Un dispositif légal qui permet certaines dérogations en rouvrant la porte au mariage précoce des jeunes filles. Cet article ainsi que les articles 21 et 22 ont d'ailleurs toujours été dans la ligne de mire des associations féministes et des droits humains qui appellent à leur abrogation définitive. Renouvelant leurs doléances lors d'une rencontre organisée à Casablanca en fin de la semaine dernière, les membres du collectif ont estimé que le maintien de cette exception est « une forme flagrante de violence basée sur le genre toujours permise par la loi marocaine ». « Cette dérogation est une violation des droits de l'enfance et une infraction claire à la Constitution marocaine ainsi qu'aux engagements internationaux ratifiés par le Maroc, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant », nous explique Amal El Amine, coordinatrice du collectif. Avenir pris en otage D'après cette dernière, « cette pratique prive des milliers de filles de leurs droits fondamentaux et constitue une atteinte inacceptable à leur dignité, leur autonomie et leur avenir », déplore l'activiste féministe. Elle met en garde contre les conséquences graves de cette dérogation « exposant les filles à des risques sociaux, psychologiques et sanitaires majeurs en les privant de leur enfance, de leur droit à l'éducation et au développement personnel tout en accentuant les inégalités et la discrimination basée sur le genre ». Pour la coordinatrice du collectif le mariage des mineures n'est pas une simple réalité sociale mais « une violation grave des droits humains et un obstacle évident à tous les efforts visant à instaurer l'égalité et la justice sociale ». Le Colectif Dounia estime par ailleurs que toute réforme du Code de la famille qui ne supprimerait pas définitivement cette exception représenterait « un recul grave par rapport aux principes fondamentaux que le Maroc s'est engagé à respecter en matière de protection des droits des enfants et des jeunes filles ». « Le maintient de cette exception offrira une brèche légale permettant de contourner la loi et de la réduire à une simple formalité, sans impact réel sur le terrain », met en garde El Amine. #3andiAmal Pour éviter de reproduire les mêmes pratiques, le collectif en appelle à « la promulgation d'un texte législatif clair et non sujet à interprétation avec une interdiction catégorique et définitive de ce type de mariage. C'est la seule manière de garantir une protection réelle des filles contre l'exploitation et la privation de leurs droits fondamentaux », réclament les activistes du Collectif Dounia. Le Collectif a par ailleurs annoncé le lancement de sa 3ème campagne numérique sur les réseaux sociaux sous le hashtag #3andiAmal. Une initiative qui vise à sensibiliser à l'impact désastreux du mariage des mineurs via des témoignages vivants, des données, des analyses et en provoquant un débat social en impliquant les citoyens. Commentant les statistiques 2023 du mariage des enfants annoncés par le Ministère public dans son dernier rapport, le Collectif estime « qu'elles ne traduisent pas une réelle avancée car elles ne tiennent pas compte des mariages à la Fatiha échappant à tout contrôle juridique ». La justice plus ferme Le rapport annuel du Parquet général pour l'année 2023 révèle en effet des chiffres clés sur le mariage des mineures. Si les tribunaux marocains accordent moins d'autorisations, les chiffres restent encore élevés. Ainsi en 2023, le nombre de demandes d'autorisation de mariage de mineures a atteint 15.319, soit une baisse significative par rapport à 2022, où 19.848 demandes avaient été enregistrées. Les juridictions compétentes ont répondu favorablement à 8 624 demandes, tandis que 6 407 ont été rejetées, soit un taux d'acceptation de 56 %. Cela signifie qu'environ une demande sur deux a été refusée. Le rapport souligne que « ce durcissement reflète la volonté des juridictions de maintenir le mariage des mineures dans le cadre d'une exception, conformément à la loi ». Le Parquet général a clairement pris position en faveur du rejet de ces demandes : sur 15.075 réquisitions déposées en 2023, 12.596 visaient à refuser l'autorisation, soit environ 84 % des requêtes présentées.