L'Observateur du Maroc et d'Afrique: L'intelligence artificielle générative connaît actuellement une expansion fulgurante. Selon vous, quelles en sont les principales limites et comment peut-on les surmonter ? Rachid Guerraoui: L'intelligence artificielle générative désigne la capacité d'un algorithme à créer du contenu, des informations, ou même des images qui n'existaient pas auparavant. Un exemple que j'aime souvent utiliser est celui des tableaux de Rembrandt. Des algorithmes et des logiciels ont analysé ses œuvres pour reproduire des tableaux qui, bien que non signés de sa main, étaient d'une telle ressemblance que des experts les considéraient comme authentiques. Cet exemple illustre bien ce qu'est l'intelligence artificielle générative : créer quelque chose de nouveau, mais qui reste crédible et proche du réel. Sur le volet prise de décision, pensez-vous que l'intelligence artificielle pourrait égaler, voire surpasser l'intuition humaine ? Absolument, dans certains domaines, l'intelligence artificielle dépasse déjà l'intelligence humaine. Par exemple, en matière de calcul, les machines sont beaucoup plus rapides que nous. Elles surpassent aussi l'humain pour le stockage d'informations, la mémoire, ou encore dans des jeux stratégiques comme les échecs. Cependant, une limite subsiste lorsqu'il s'agit de transférer des connaissances d'un domaine à un autre. L'être humain a cette capacité de transposer une stratégie apprise dans un contexte, comme celui des échecs, à un tout autre domaine, comme la négociation. Cela reste un défi pour l'intelligence artificielle, notamment dans ce qu'on appelle l'IA générale, domaine dans lequel nous sommes encore loin d'avoir des machines capables de réussir cette transposition. Est-ce que l'intelligence artificielle représente une menace pour les emplois futurs ? Oui, c'est une réalité que l'intelligence artificielle menace certains emplois. Nous savons, par exemple, que les traducteurs sont particulièrement concernés, car les logiciels de traduction sont de plus en plus performants. D'autres métiers, comme celui d'analyste radiologique, sont également en danger. Cela ne signifie pas la disparition totale des métiers, mais une transformation où certaines tâches seront automatisées, permettant aux professionnels de se concentrer sur des aspects plus humains de leur travail. S'agissant des talents au Maroc, pensez-vous que le pays dispose des compétences nécessaires pour suivre la tendance mondiale ? Le Maroc dispose sans aucun doute de talents capables de suivre cette évolution. Des formations de très haut niveau existent, comme celles du Collège of Computing de l'UM6P, qui forment des ingénieurs exceptionnels. Cependant, ces formations ne sont pas encore suffisantes. Il faut en développer davantage pour répondre à la demande croissante. Certains diplômés iront sans doute à l'étranger, mais tant qu'ils restent connectés au pays, par exemple en revenant ou en partageant leurs connaissances, cela peut être une réelle opportunité. Concernant l'intelligence artificielle éthique, l'Europe prône une régulation stricte, tandis que d'autres pays optent pour une approche plus permissive. Quelle est votre opinion sur ce sujet ? C'est une question complexe. L'Europe essaie d'instaurer des régulations pour encadrer l'intelligence artificielle et les technologies numériques, ce qui est louable, mais leur mise en œuvre reste difficile. Cela peut devenir un fardeau pour les entreprises locales, notamment face à des concurrents comme ceux de la Chine ou des Etats-Unis qui avancent rapidement. Quant au Maroc, je pense qu'il est préférable de se concentrer sur l'innovation et le développement des produits locaux. Une régulation est nécessaire, bien sûr, mais il faut d'abord créer un écosystème de produits locaux sur lesquels construire une éthique adaptée au contexte marocain. Le Maroc ne peut pas encore se permettre de créer une loi locale très rigide, mais une réglementation souple et pragmatique pourrait être plus appropriée. Avec l'intelligence artificielle, jusqu'où pensez-vous que nous pourrons aller ? C'est une question difficile à répondre. Ce que je sais, c'est que les progrès sont rapides. Chaque fois qu'on pense qu'un problème est insurmontable, l'intelligence artificielle ou les algorithmes trouvent une solution. On a vu que certaines idées sur les besoins en ressources sont contredites par les récentes innovations, comme celles développées par DeepSeek et d'autres acteurs chinois. Toutefois, pour ce qui est de l'intelligence artificielle qui peut naviguer entre différents domaines, nous en sommes encore loin, mais il est possible que nous y arrivions un jour.