Deux mois après la chute de Viktor Ianoukovitch, on peut croire l'Ukraine à feu et à sang. Les Russes le croient. Le feuilleton télévisé montre le drapeau tricolore qui flotte sur les bâtiments officiels des villes de l'est qui tombent les unes après les autres aux mains des insurgés... La Crimée qui a pris son indépendance leur sert d'exemple, à moins que cela soit la Yougoslavie. L'Ukraine se décompose sous nos yeux incrédules. L'image du peuple en armes paradant avec l'air farouche en treillis militaire remplit les journaux. C'est la révolution en images d'Epinal. D'autres qui ont soigneusement décousu leurs insignes et mis une cagoule pour ne pas être identifiés tiennent des barrages, avec moins de phrases et plus de métier. On les appelle « les hommes en vert », ce qui est plus pratique et plus prudent que de parler d'éléments des Forces spéciales relevant de la Direction générale des Renseignements de l'Etat-major des Forces armées russes. Autrement dit (mais à voix basse !) le fameux GRU qui hantait les romans d'espionnage des années 60. Ajoutez les 40.000 soldats russes qui piétinent à quelques kilomètres de l'autre côté de la frontière et les réseaux sociaux qui relaient les rumeurs les plus improbables affirmant que la guerre froide est de retour et le rideau de fer aussi. C'est même la troisième guerre mondiale qui commence, si l'on prend au mot les mises en garde qu'échangent les diplomates sur un ton de plus en plus belliqueux. Vladimir Poutine offre ainsi au monde entier une superproduction virile mais... c'est une mise en scène ! Cette guerre fictive fait couler plus d'encre que de sang. On parle de centaines de disparus mais on compte le nombre des morts chaque semaine avec les deux mains. Rien à voir avec la Syrie ou même l'Irak, un peu oubliés... Le scénario ukrainien est improbable. Des querelles de frontières, dignes du XIX° siècle. Des références permanentes à la lutte contre le fascisme, qui renvoient au XX° siècle. Et un contrôle étroit des médias, tout à fait du XXI° siècle. Les Russes viennent d'inventer la guerre Potemkine. Le prince Potemkine, premier ministre de la grande Catherine, est resté dans l'histoire pour avoir fait construire de faux villages peuplés de figurants, paysans bien nourris et artisans joyeux, pour que la tsarine en voyage découvre un peuple heureux. Le comble, cette histoire serait une légende ! Soixante-dix ans de communisme ont habitué les Russes aux illusions d'optique, au double langage et au mensonge érigé en système de gouvernement. Ce grand peuple qui a tant souffert en a gardé une peur d'être dupe et cette méfiance vis-à-vis de l'étranger cohabite avec une parfaite crédulité. Les Russes croient ainsi aux complots invraisemblables que leur inventent les services de propagande et sont persuadés qu'il ne peut y avoir de révolution sans chef d'orchestre clandestin... Le contrôle étroit des médias et des réseaux sociaux les a « tympanisés ». Le Kremlin ne cesse de mentir (« nous avons replié nos troupes », chef d'état-major), de démentir (« pas un soldat russe en Ukraine, c'est une farce ! », Serguei Lavrov), de nier l'évidence. En interne, c'est sans danger. Gagnant à court terme : Moscou a annexé la Crimée et déstabilisé les provinces russophones de l'Ukraine en gardant toujours deux ou trois coups d'avance sur les Occidentaux qui restent paralysés par la peur que la guerre virtuelle dérape soudain et que le pire devienne réel. A terme, l'effet boomerang est garanti. L'image de la Russie sort de la crise profondément altérée. Elle a commencé à le payer comptant : la fuite des capitaux s'est accélérée, les prévisions de croissance qui étaient de 2,5% pour 2014 se sont effondrées au point que les économistes prévoient la récession en fin d'année. Question de cours : la Russie peut-elle encore être considérée comme un pays émergent ? Le marché est bien plus implacable que les diplomates qui établissent des listes noires de membres de la nomenklatura à priver de visas. Sur le plan international, que vaut la parole d'un pays qui est membre permanent du Conseil de sécurité et qui peut violer toutes les règles et rectifier les frontières de ses voisins, au mépris de ses engagements réitérés. C'est parce que le Kremlin se portait garant de l'intangibilité de ses frontières que l'Ukraine a accepté de renoncer à son arsenal nucléaire. Cet accord signé à Bucarest après la disparition de l'Urss a été renouvelé par Vladimir Poutine en personne en 2006... Après l'Irak et la Libye, l'Ukraine est ainsi le troisième pays à avoir solennellement abdiqué ses ambitions nucléaires et qui se retrouve dépecé. Implacable leçon à méditer pour les mollahs iraniens et pour leurs voisins qui cherchent à conforter leur souveraineté ! ❚