Jounayda est une élève de 17 ans originaire de la ville de Nador. Enlevée, droguée, violée et puis tuée et délaissée dans une voiture, la jeune fille a quitté violement cette vie. Cette autre victime laisse derrière elle une famille meurtrie et une mère inconsolable qui réclame justice pour pouvoir faire enfin son deuil... « Je ne dors plus ni de nuit ni de jour. Mon mari non plus. L'image du cadavre de ma fille chérie ne quitte plus mes yeux et hante mon esprit. Seule la condamnation de son tueur pourra apaiser, ne serait-ce qu'un peu,ma souffrance », raconte la mère de Jounayda. Une condamnation qui ne sera prononcée de sitôt vu que le meurtrier, un baron de la drogue à Nador, n'a pas encore été arrêté. Au bout de deux mois et de multiples plaintes auprès de la police, le viol et le meurtre de la jeune fille restent jusqu'à aujourd'hui impunis au grand désespoir de ses parents. À Casablanca, la famille de Bouchra revit chaque jour que Dieu fait, le drame du meurtre de leur fille. Kidnappée à la sortie du lycée par un délinquant notoire, la jeune fille fut violée et séquestrée durant plusieurs jours dans la demeure familiale du kidnappeur au vu et au su de sa mère. La victime fut ensuite mariée de force au criminel en l'absence et contre la volonté de sa propre famille. « C'est une famille de malfrats. La mère, puissante chef de bande, fait la loi dans le quartier de Sidi Bernoussi. Lorsque ses fils commettent des crimes et sont arrêtés, elle les fait sortir dans l'heure qui suit. Personne ne peut remettre leur « règne » en question. En retenant ma soeur, ils nous ont tous menacé de représailles: le mariage ou notre perte à tous !», nous raconte le frère de Bouchra d'une voix tremblante. Quelques mois après cette alliance forcée, la jeune épouse a été tabassée à mort devant la maison de sa famille et sous les yeux des voisins sans que personne ne puisse venir à son aide. « Terrorisés par la peur, nous avons assisté impuissants à cette scène horrible. Au bout de multiples coups violents, le foie de ma pauvre fille a explosé. En remarquant qu'elle était en train d'agoniser dans la rue, son mari l'a portée et l'a ramenée chez lui dans sa voiture pour la jeter ensuite par la fenêtre de sa maison. Ils ont prétendu par la suite qu'elle s'est suicidée », se rappelle, la mort dans l'âme, la mère de Bouchra. Plusieurs mois après son décès, la victime n'est toujours pas enterrée. Son corps reste coincé à la morgue en l'attente des résultats d'une enquête qui n'a que trop duré. « Pourtant le rapport du médecin légiste est clair : Aucune partie du corps de ma fille n'a été épargnée, sa mort est le résultat de la violence barbare de son mari. Quant à son prétendu suicide, ce ne sont que de purs mensonges. Car au top de sa détresse et de sa souffrance dans ce malheureux mariage, ma fille gardait espoir et aspirait à une vie meilleure loin de ce monstre. Elle rêvait de reprendre ses études, de trouver un bon travail pour m'épargner ma corvée bonne à tout faire chez les gens. Ils ont volé sa vie et ils m'ont volé mon seul espoir », nous confie, en larmes, cette mère endeuillée. Des récits parmi d'autres qui rappellent la réalité choquante de milliers de femmes victimes de violence et de maltraitance. «Au Maroc, les actes de violence contre les femmes ont atteint en 2012 le chiffre de 44.642 tous types confondus (physique, juridique, sexuel, économique et psychique). Ces actes ont été perpétrés contre 5.542 femmes ayant visité les centres d'écoute en 2012», détaille Najat Razi, présidente de l'Association Marocaine pour les Droits des Femmes en marge de la présentation, en décembre dernier, du 5e rapport national de l'Observatoire marocain des violences faites aux femmes (Oyoune Nissaiya). Un chiffre, qui malgré son importance, reste largement en dessous de la réalité, vu qu'un bon nombre de femmes préfèrent, sous le poids de la honte ou de la peur, passer leur souffrance sous silence. L'Observatoire note également à travers ce rapport accablant une importante régression au niveau des acquis dans la lutte contre ce fléau. « La situation s'est encore aggravée ces dernières années. Nous tenons à tirer la sonnette d'alarme car la violence ne se limite plus à l'intégrité physique et morale des femmes mais commence à les tuer», s'insurge- t-on à Ouyoune Nissaiya. Six femmes ont ainsi trouvé la mort en l'espace d'une année sous des coups assénés par leurs propres conjoints ou de leurs agresseurs. «De pauvres victimes qui ont payé de leur vie une situation d'impunité qui sévit encore et dont profitent largement les coupables », note Razi en insistant sur l'importance de l'activation de la loi contre la violence faite aux femmes afin de limiter les dégâts et surtout « pour sauver des vies », insiste-t-on à l'Observatoire. Cet organe regroupe plusieurs associations militant dans le domaine et dont les centres d'écoute sont ouverts dans les différentes régions du royaume. Même son de cloche chez Amnesty qui a appelé le Maroc à réformer, en urgence, les lois en vigueur. Lesquelles « exposent à de nouveaux abus les personnes victimes de violences liées au genre». Des craintes qui devraient en principe être dissipées par le projet de loi 103-13 porté par Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social. Mais encore faut-il que cette loi fasse l'unanimité. Car au-delà des multiples reproches exprimés par ses détracteurs (notamment des féministes), ce projet a le mérite de vouloir criminaliser les mariages forcés, les atteintes à l'intégrité du corps de la femme, les violences contre les femmes enceintes et celles commises devant des enfants. Des mesures inédites sont également prévues par cette loi tels l'éloignement du conjoint violent et l'interdiction d'approcher l'épouse ou les enfants. Des mesures qui pourraient changer le vécu difficile d'un grand nombre de femmes maltraitées et sauver peut-être bien des vies...❚