Que fera-t-il de sa victoire ? Quoique talonné par son ancien ministre des Affaires étrangères, Abdullah Abdullah, Hamid Karzaï, le président afghan, a toutes les chances de se voir réélu pour un second mandat. Mais la victoire n'aura pas été aussi aisée qu'il le prévoyait. La fraude électorale a été massive. Venu le rencontrer à Kaboul la semaine passée, l'émissaire américain Richard Holbrooke lui a signifié en termes peu diplomatiques qu'il devrait accepter d'organiser un second tour de scrutin. C'est la seule manière de donner un semblant de légitimité à son élection, estime-t-on à Washington où l'administration craint les critiques à propos d'une guerre qui devient, elle aussi, de moins en moins comprise par les Américains. Un point de vue qui n'est pas partagée par tous les pays membres de la coalition, en particulier la France. Trop coûteux et trop dangereux en termes de sécurité, dit-on. Second tour de scrutin ou non, le prochain président afghan devra remettre sur pied son pays. La situation a empiré depuis l'arrivée des Américains en 2001 au lendemain du 11 septembre. Trois grands dossiers devront être réglés. Le premier : la montée en puissance des talibans. Chassés de Kaboul en 2001 par les Américains, ils tiennent l'est du pays, en bordure du Pakistan, et le sud, la région pachtoune, l'ethnie de Karzaï. Dans cette province, moins de 10% des Afghans ont voté, par adhésion aux talibans ou par peur des représailles. Barack Obama estime que la solution est politique et incite Karzaï à négocier avec des talibans «modérés». Existent-ils ? Certes, au-delà d'un noyau politique très dur de talibans qui se battent pour instaurer un émirat islamique, existe une nébuleuse de sympathisants qui pourrait s'accommoder de Karzaï, à la condition de participer au pouvoir. Ce n'est pas sans risque. Au nom de la réconciliation, l'Etat ne risque-t-il pas de céder aux salafistes sur des points essentiels (éducation des filles, travail des femmes ). Karzaï a déjà prouvé qu'il était prêt aux concessions. Pour les Occidentaux, l'essentiel est malheureusement ailleurs : s'assurer qu'une alliance avec certains talibans ne transformerait pas de nouveau l'Afghanistan en une base arrière d'Al-Qaïda. «Il faut garder une main de fer dans un gant de velours», estime-t-on à Paris. En clair : ne pas relâcher la pression militaire. Avec les risques de «bavures» à répétition sur les civils qui voient dans les troupes de l'OTAN une armée d'occupation. Washington et Paris veulent changer de politique. L'objectif : «afghaniser» la guerre et ses responsables en formant des nationaux et rechercher l'adhésion des paysans. La politique suivie en son temps par Lyautey au Maroc est devenue un modèle à suivre cité par des généraux américains ! Il y a urgence, car du succès ou non de cette nouvelle politique va dépendre la réussite ou non de cette «guerre contre le terrorisme» qui peut devenir un autre Vietnam. Deux autres grands dossiers devront être réglés : la corruption et la drogue. Ils sont liés. La corruption est gigantesque. Depuis 2001, 20 milliards de dollars ont été déversés en Afghanistan. Environ 10% de cette somme sont arrivés aux populations. Les Occidentaux sont aussi responsables de cette corruption et gabegie. L'aide, donnée sans conditionnalité, est détournée et aussi largement utilisée pour faire vivre le grand business des organisations internationales et des ONG. Troisième dossier : la drogue. Les talibans en vivent. Ils ne sont pas les seuls. La culture du pavot permet aux paysans de survivre; la transformation en opium enrichit les chefs de guerre (aujourd'hui alliés à Karzaï), une partie des structures de l'Etat et les talibans. L'opium est le nerf de la guerre. Son prix est passé de 45$ le kilo en 2007 à 100$ cette année. Le pays est devenu un narco-Etat et, fait nouveau, les producteurs sont devenus consommateurs. Un nud de vipères.