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L'effroyable coût écologique de la pastèque
Publié dans L'observateur du Maroc le 16 - 03 - 2022

« La culture de la pastèque, comme beaucoup de cultures de l'été détruit les sols et entraine un épuisement des ressources en eau » résume Mohamed Taher Srairi, Directeur de la formation en agronomie à l'Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II. C'est le cas pour plusieurs villes du Sud du Maroc. A Tata, l'alerte de la pénurie d'eau a été lancée depuis plusieurs années. La région a même été décrétée comme zone sinistrée après l'épuisement de ses ressources en eau. Lors d'une conférence-débat sous le thème «l'eau comme enjeu marocain», tenue jeudi 3 mars 2022 à l'Institut Supérieur de l'Information et de la Communication (ISIC), le Ministre de l'équipement et de l'eau, Nizar Baraka, a annoncé que dans le cadre des mesures prises pour faire face à la pénurie des ressources hydrauliques, le gouvernement allait renoncer à la culture de la pastèque à Tata. L'annonce suscite la polémique. Pour le Président de l'association des amis de l'environnement de Zagora Jamal Akchbabe, cette décision est justifiée. Encore faut-il l'appliquer réellement sur le terrain non seulement à Tata mais aussi à Zagora où la situation est jugée encore plus dramatique.
Pourquoi renoncer à la pastèque ?
La culture de pastèque figure en effet parmi les cultures les plus gourmandes en eau. Selon les spécialistes, la production d'un hectare nécessite entre 4.000 et 6.000 mètres cubes d'eau par an. Enorme! D'autant plus que la superficie cultivée au titre de la campagne 2021 a atteint 20.000 hectares (ha), contre 4.500 ha en 2014 et 2.500 ha en 2010, avec un rendement à l'hectare s'élèvant à 60 tonnes. La décision d'interdire cette culture intervient à un moment où la ville de Tata souffre d'une grave pénurie d'eau compte tenu du déficit pluviométrique combiné à une nappe phréatique surexploitée. « Le but n'est pas d'arrêter totalement la production mais de travailler d'une façon plus efficiente, pour permettre d'économiser les ressources en eau », assure le Ministre précisant que son département veillera à l'application stricte de cette décision.
La production d'un hectare de pastèque nécessite entre 4.000 et 6.000 mètres cubes d'eau par an
Cependant, la mise en application de cette décision pénalisera les agriculteurs de la région qui ont déjà investi cette année dans le secteur. Les producteurs sont en colère. «Nous avons déjà planté. Et la récolte est prévue pour le mois prochain. Qu'allons-nous faire alors ? Et si on nous oblige à abandonner cette culture, quelles sont les alternatives prévues ?», s'interroge l'un des agriculteurs. Jalil Rassou, militant associatif issu de la région, va encore plus loin et accuse le lobby de la culture des pastèques dans d'autres régions notamment à Zagora d'être à l'origine de cette décision. «La pastèque de Tata est précoce et concurrence directement celle produite à Zagora. Pourquoi interdire cette culture à Tata et pas à Zagora, confrontée elle aussi à la même problématique de pénurie d'eau ? » tient-il à souligner.
Une culture décriée
Les avis sont unanimes : Zagora n'est pas mieux lotie que Tata. Selon Akchbabe, dans la région, les eaux de surface n'arrivent plus à répondre aux besoins en irrigation ou en eau potable et le barrage Ahmed El Mansour Eddahbi n'assure que 10% des besoins. Il ajoute aussi que depuis 2014, les pluies locales, ne dépassent pas les 25 mm par an avec une augmentation sensible des températures et une évaporation de l'eau qui a atteint 1200 mm. Pour les eaux souterraines, le potentiel est estimé à quelques 130 millions cubes. « La crise de l'eau pousse donc les agriculteurs, notamment les producteurs des pastèques, à creuser clandestinement des puits et à les exploiter de manière illégale », confie Akchbabe.
De son côté Srairi dresse un état des lieux encore plus alarmant : la promotion de la culture de la pastèque, qui se développe principalement dans les aires d'extension des oasis peut s'avérer problématique, puisqu'elle amplifie la rareté de l'eau en épuisant les nappes et en accentuant le rythme d'usage de l'eau. Une situation qui menace même l'approvisionnement en eau des centres urbains locaux.
L'expert note également que «La situation est doublement dramatique : on assèche les zones déjà arides et on crée aussi des inégalités entre les opérateurs économiques dans la région, puisque la plupart n'ont pas les moyens d'accéder aux ressources souterraines ».
Quid des alternatives ?
Aujourd'hui, les membres de l'Association des Amis de l'Environnement de Zagora, et bien d'autres militants, sollicitent du gouverneur de la région qu'il décréte la ville "zone sinistrée" suite à l'épuisement de ses ressources en eau du fait de la culture de la pastèque à but d'exportation.
«Nous exportons des produits qui ont consommé des quantités très importantes d'eau dans les déserts à des pays qui ne souffrent pas de manque d'eau. C'est un vrai non sens écologique », alerte Srairi.
Mais pour Rassou, par l'interdiction de la culture de pastèque, le gouvernement opte pour la facilité au moment où il serait plus judicieux de recourir à des moyens comme l'infiltration des eaux de ruissellement, la construction de nouveaux barrages...
Selon Akchbabe, il faudrait plutôt miser sur l'évaluation et le contrôle des ressources en eau gaspillées, la mise en place d'un programme de formation et d'orientation agricole au profit des agriculteurs...et surtout l'encouragement des cultures alternatives productives et rentables telles que les plantes aromatiques et médicinales. Srairi reste de son côté convaincu que les pouvoirs publics doivent réorienter les politiques agricoles vers la mise en valeur de l'eau pluviale par exemple, réviser intégralement le plan Maroc vert et privilégier des cultures durables et économes en eau.


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