Tout a changé dans ce marché populaire de Casablanca. Grouillant de monde et connaissant auparavant une activité commerciale soutenue, aujourd'hui, il est presque désert. Les quelques clients, ayant encore le courage de s'y aventurer, tentent, en vain, de négocier les prix de tomates et de patates avec des marchands intransigeants. Trop cher « La flambée des prix touche à tous les produits. La dinde que l'on se procurait à 50 dhs maximum a atteint aujourd'hui les 80 Dhs, les 5 litres d'huile sont passé de 75 dhs à 90 dhs. Les légumes non plus n'échappent pas à cette hausse, la tomate qui était à 3 Dhs est aujourd'hui vendue à 7 Dhs. A ces prix nos marges de gain sont sensiblement réduites et on court vers la faillite », s'insurge ce jeune homme gérant un snack ambulant de fast food à Casablanca et s'approvisionnant habituellement dans ce souk. Plus loin sur cette rue marchande, un habitant du quartier hésite longtemps devant les étales des légumes et fruits. Le panier vide, il perd son courage devant les prix affichés. « Le citoyen pauvre est frappé de plein fouet par la crise et c'est le premier perdant dans cette affaire. Tout est devenu trop cher et on n'arrive pas à nous en sortir avec le peu de moyens disponibles. J'espère que le gouvernement trouvera une solution à cette situation devenue insupportable », s'exprime le verbe abattu, ce père de famille accablé. A ces côtés, Ahmed. S, réclame une solution pour une « situation devenue trop grave. « Alors que les gens vivent dans le chômage et la pauvreté, on les fait crouler sous des prix qui ne cessent d'augmenter. Les gens ne demandent qu'à manger à leur faim et ils n'y arrivent plus et c'est très grave », juge ce retraité alors que le marchand de légumes ne cesse de se défendre en justifiant les prix pratiqués sur le marché par les faramineuses augmentations à l'origine au marché du gros. Pouvoir d'achat affaibli Pour Réda F et son ami Adil.S, il n'est plus question de conduire leurs motos. « Je marche à pieds dorénavant pour aller au boulot quitte à partir une heure plutôt de la maison. Je ne peux plus m'approvisionner en essence avec cette flambée des prix du carburant », assure Réda. Pour Adil, « en autorisant cette hausse des prix, on a oublié de considérer le pouvoir d'achat du simple citoyen, des catégories fragiles et n'arrivant pas à joindre les deux bouts », s'insurge-t-il. Des propos qui rejoignent les slogans des manifestations du dimanche dernier, tenues dans plusieurs villes, en protestation contre cette hausse des prix. A Casablanca tout comme à Rabat ou encore à Tanger et à Tétouan, les manifestants ont dénoncé le coût élevé des produits de base en réclamant des solutions à une crise qui pèse trop sur la paix sociale. S'exprimant au microphone de notre confrère Kifache, Ali Boutwala, membre du bureau national du Front social Marocain (FSM), initiateur de la manifestation de Casablanca, a résumé les réclamations des manifestants. « Le citoyen lambda n'arrive plus à survivre, tout est devenu plus cher, trop cher de l'huile en passant par les légumineuses et les légumes sans oublier le bond phénoménal des prix du carburant. Nous sommes un pays agricoles avec deux façades littorales et grandes richesses en phosphates. On réclame d'en bénéficier autant que citoyens et une distribution équitable de ces richesses surtout en ces temps durs de crise », lance-t-il sous les cris d'approbation des manifestants en grogne. « On augmente les prix et on oublie d'augmenter les salaires. Le pouvoir d'achat des simples citoyens s'en trouve fatalement réduit et c'est leur qualité de vie voir leur capacité de survivre qui en est profondément touchée », fustigent les représentants du FSM qui est un collectif récemment créé regroupant quatre partis de gauche, des organisation syndicales comme la Confédération démocratique du travail (CDT) et des associations, comme l'AMDH. Contexte international Rappelons que Fouzi Lekjaa, le ministre délégué chargé du budget, a expliqué jeudi 17 février, la hausse des prix à la consommation au Maroc par la conjoncture internationale actuelle. S'exprimant lors d'un point de presse à l'issue du Conseil du gouvernement, Lekjaa a précisé que la hausse des prix de certains biens de consommation s'explique, principalement, par la reprise économique inattendue dans le monde et à l'augmentation continue des prix des céréales et des produits pétroliers sur le marché international. Ainsi selon le ministre, les prix des céréales à l'international sont passés à 315 dollar/tonne, contre 290 dollars/tonne en 2021, soit une progression de 34% par rapport à une année normale. En raison des conditions géopolitiques et de l'augmentation des prix de fret et du transport international, le prix d'un quintal de céréales sur le marché international s'est élevé à 340 dirhams en 2022, après 260 dirhams une année auparavant, ajoute-t-il. Toujours d'après Lekjaa, et au vu de ces circonstances, l'Etat a adopté une série de mesures portant essentiellement sur la suspension des droits de douane sur les importations de blé en deux périodes, de février au 15 mai 2021 et de novembre 2021 à avril prochain. Une suspension des droits de douanes qui a fait perdre au Maroc quelques 550 millions de dirhams (MDH). Une sacrée perte qui malgré tout reste insuffisante comme l'affirme le ministre en charge du budget. Ce dernier a rappelé d'ailleurs que sans l'intervention de l'Etat en matière de subvention des céréales importées, le prix d'un quintal aurait atteint les 340 dirhams, ce qui porterait à 350 dirhams le prix d'un quintal de la farine. L'Etat consacre, au titre d'une année normale, 1,3 milliard de dirhams (MMDH) pour la subvention de la farine qui se vend sur le marché à 200 dirhams le quintal, nous apprend Lekjaa. Rien qu'en 2021, l'Etat a alloué 3,28 MMDH, « ce qui correspond à une perte de 2 MMDH supplémentaires », souligne le ministre. Gaz et pétrole Concernant les produits pétroliers, le ministre a souligné que le prix du gaz butane est fixé sur le marché local à 3,33 dirhams le kilogramme (kg). Un prix qui n'a pas changé depuis 1990, comme le rappelle Lekjaa, et qui fait qu'une bouteille de gaz de 12 Kg se vend à 40 dirhams et celle de 3 kg à 10 dirhams. Situant les prix dans un contexte international, le ministre note que le prix du gaz butane est actuellement de 854 dollars la tonne, alors qu'il était de 530 dollars la tonne en 2020 et de 509 dollars la tonne en 2021. Une hausse de 60% par rapport à 2020 et 2021, en raison des tensions géopolitiques et des contraintes liées à la pandémie, argumente Fouzi Lekjaa. Avec la différence entre le prix pratiqué sur le marché (40 Dhs) et le prix réel (130 Dhs), l'Etat subventionne chaque bouteille de gaz avec 90 Dhs ce qui porte la harge globale de la subvention a près de 14 MMDH en 2021 contre 9 MMDH en 2020, soit une augmentation de 60%. Pour les produits pétroliers liquides, comme l'essence, son prix qui était de 70 dollars en 2020, a grimpé à 88 dollars en 2021 et 97 dollars en 2022. « Ce qui explique la hausse du carburant sur le marché national qui a franchi la barrière des 10 dirhams en novembre 2021 et 10,9 dirhams en février 2022 », explique le ministre. Ce dernier rappelle en outre que la taxe sur les produits pétroliers au Maroc est à 10%, contrairement aux pays voisins, où elle est de 20%. Il explique que l'impact des taxes dans la composition du prix de vente final est de 37% pour le gasoil et 47% du côté de l'essence, contre respectivement 53% et 62% dans des pays voisins.