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«Mon père ne m'aime pas»
Publié dans L'observateur du Maroc le 17 - 07 - 2009

La bouteille d'alcool le mène par le bout du nez. Pris d'un élan d'affection sans précédent, Said se jette sur ses deux enfants, déjà endormis et les embrasse comme s'il venait de rentrer de voyage. Ivre mort, il réveille tous les voisins et se lance dans une sérénade de cris à faire pâlir de honte. Aicha, sa femme, prend ses enfants dans ses bras et laisse libre cours à ses larmes. La même scène se répète tous les soirs. La mère et les enfants se couchent le ventre vide tandis que le père dépense leurs quelques sous dans le bar du quartier. Respectivement âgés de 5 et 9 ans, les enfants grandissent dans un milieu où alcool, drogue et violence font partie du décor. La maman, incapable de contester la situation dans laquelle elle vit avec ses enfants, prend son mal en patience et s'arme de silence. Face à un père ivre, une mère désespérée et des enfants apeurés, la société ne bouge pas le petit doigt et reste spectatrice de ce quotidien sordide. Négligents, inconscients ce genre d'hommes se comptent par milliers. Eux-mêmes maltraités durant leur enfance, ces pères agissent presque par vengeance. Vengeance sur tout ce qu'ils ont pu vivre pendant la première période de leur vie. «Le père est appelé à répéter ce qu'il a vécu durant son enfance. Cela vient du profil psychique. Un géniteur a toujours eu une fonction de sécurisation et d'implication que personne ne peut occuper à sa place. L'impact est gravement destructeur pour les enfants qui se voient largués, rejetés et délaissés. Et c'est ainsi qu'un rapport de violence et de haine s'installe au fil du temps et touche l'enfant qui va réitérer de son côté ce qu'il a vécu» affirme Corbel Bernard, psychologue. L'entourage, quant à lui, n'aide jamais à stopper le danger de ce fait de société et n'est jamais prêt à témoigner ou à accorder son aide aux familles lésées. Les voisins font souvent profil bas et préfèrent s'offrir le malheur de la mère et des enfants en spectacle que de coopérer à arrêter ce délit social. «Un certificat médical ne suffit pas pour faire un procès. Des témoignages et des preuves sont obligatoires pour que la justice suive son cours normal. Pourtant, la condamnation reste timide malgré le poids de la faute. Même quand il s'agit d'un abus sexuel, la justice n'est pas aussi dure qu'elle le devrait. Pour la loi, le fait de reconnaître son délit et de se mettre devant les juges est une punition en lui-même» atteste Nabil Abassi, avocat. La lâcheté de toute la société est frappante lorsque l'épouse fait l'objet de brutalités et d'humiliations. Les enfants dont les pleurs ne servent qu'à meubler le décor du malheur restent impuissants face à une situation des plus délicates. Un père indigne, ils ne l'ont jamais souhaité. Une mère accablée, non plus. Pourtant, les cas ne manquent pas....
« Enfant : fruit qu'on fit », Léo Campion
«Notre société a évolué et a signé des conventions mais elle ne suit pas toujours ce développement. Un père indigne se présente sous plusieurs images. Pour la société, c'est quelqu'un qui ne remplit pas ses fonctions définies par la «Chariaâ», qui abandonne sa famille et qui n'assume pas ses responsabilités. On parle rarement de mère indigne parce que celle-ci risque souvent tout pour protéger ses enfants. La société ne s'est pas encore débarrassée de ses tabous et continue de faire souffrir des familles juste pour que l'entourage ne les juge pas» avance Fatima Aqil, sociologue. Chez nous, les pères indignes sont triés par milliers et les motifs d'indignité ne se font pas rares. Quand le père, censé être le garant de la famille et de toute une société, laisse son enfant affamé et ne pense qu'à assouvir ses plaisirs, la notion de famille se retrouve dénuée de tout sens. L a pauvreté n'est pas toujours la cause de tout ceci. «Je connais des familles très aisées dont le père est toujours absent. Il ne montre jamais d'affection à ses enfants et comble ce manque par du matériel. Les petits grandissent avec le jardinier, le cuisiner ou le gardien et manquent sérieusement d'amour paternel malgré la présence de la mère. C'est un grave déséquilibre psychique pour l'enfant» souligne Najia Adib, présidente de l'association Touche pas à mes enfants. D'un autre côté, les familles dont les parents sont divorcés vivent aussi un calvaire sous l'œil d'un père insensible qui s'obstine par exemple à ne pas payer de pension, obligeant ainsi la mère à travailler pour pallier des besoins alimentaires. «Selon la loi, le père est obligé de payer la pension. Dans le cas contraire, il s'agit d'un crime inacceptable envers l'enfant. La société doit vraiment contribuer à lutter contre ce fléau. C'est dans ce cas-là qu'on a besoin d'assistants sociaux. Il faut savoir que la loi est étroitement liée à la société et que le père (plus que la mère) a le devoir de protéger ses enfants. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas chez nous» soutient Ait Abderrazik Abdelaziz, lui aussi avocat. Même l'Islam a toujours insisté pour que le père assume la responsabilité de sa famille, défende sa descendance ainsi que sa femme.
De lourdes conséquences
Un enfant reste fragile et s'approprie l'image de son père tout au long de son existence. Premier amour de la fille et éternel héros du garçon, il est la preuve concrète d'un rapport de confiance et d'assurance entretenu avec le reste du monde. Démuni de toute affection paternelle, l'enfant développe une rancune intérieure qu'il manifeste dès que l'occasion s'en présente. «L'amour du père est irremplaçable. Et c'est la tentative de chercher cet amour ailleurs qui représente de gros risques. L'homosexualité est le premier refuge parce qu'elle permet de s'approcher de figures d'autorité et de combler un manque. Pour la fille, c'est encore pire puisqu'elle a beaucoup de mal à établir un rapport de confiance» explique Corbel Bernard.


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