Ahmed charaï C'est un véritable séisme politique que le PAM a créé en annonçant son retrait de la majorité et l'entrée en «opposition» au gouvernement El Fassi. Séisme, parce que si le PAM n'existait pas lorsque ce cabinet a été constitué, il était devenu une pièce maîtresse de la coalition avec autant de députés que l'Istiqlal. Tous les observateurs en ont déduit la chute du gouvernement avant que le cabinet royal n'annonce son appui au cabinet El Fassi. Quel que soit l'agenda royal, il est clair que nous assistons à un événement majeur : le changement de majorité. En effet, depuis la création du PAM, il était clair que son patron, Fouad Ali El Himma visait à réunir la droite, c'est-à-dire le RNI, l'UC et le MP essentiellement, sous la direction du nouveau parti. Or, numériquement, il s'agit-là d'une majorité. L'on pensait que c'est à la fin de la législature que cela se matérialiserait, mais les choses se sont précipitées. En reprenant sa liberté, le PAM met le gouvernement sous pression. N'ayant plus de majorité automatique, il lui faudra négocier tous ses projets de loi, ce qui risque d'ajouter à son immobilisme. Cette pression s'ajoutera à une autre, celle des résultats attendus des communales. Car même si l'on sait que des élections locales n'ont pas de lien direct avec la représentation nationale, il est clair qu'une défaite sévère, telle qu'elle se dessine, des partis de la Koutla pèsera sur le reste de la législature, y compris à l'intérieur même de ces partis, taraudés par une crise identitaire depuis longtemps. Le schéma du futur En fait, l'on sait maintenant à quoi sert le PAM. Il sert à traverser un champ politique sclérosé. En rassemblant la droite, il oblige les autres à revoir leur action. Il n'est plus question de maintenir une coalition hétéroclite favorisant elle-même la balkanisation. Le premier dommage collatéral est que la gauche se retrouve exclue du gouvernement. Le PAM ne cache pas sa volonté d'en finir avec les «consensus honteux». Or la gauche n'est là que par référence au choix de l'alternance consensuelle effectué en 1998. C'est la coalition constituée à l'époque qui est maintenue jusqu'à ce jour. Fouad Ali El Himma cherche donc à créer un pôle plus homogène, capable de réunir une majorité parlementaire. L'Istiqlal pourra toujours jouer les forces complémentaires. Le scénario est donc prêt. Il pourrait être mis en musique dès octobre, c'est-à-dire à la rentrée parlementaire, comme il pourrait connaître une longue période de maturation le menant jusqu'à la fin de la législature. Cela dépend clairement de la volonté royale. Cependant, si l'USFP est laminé lors des municipales, ses militants pourraient réclamer et obtenir le retrait du gouvernement. Au quel cas le sort du gouvernement El Fassi serait scellé. Comme on le voit, la nouvelle situation engendrée par la décision du PAM se prête à toutes les conjectures. Il faut cependant reconnaître qu'elle apporte plus de clarté à la situation politique et oblige les autres à se préparer aux reclassements éventuels. En un mot, le PAM a réanimé un paysage politique dont la monotonie n'a d'égal que son inconsistance. Il restera à donner à cette réanimation un contenu sociétal. Tout un programme ! PAM-Gouvernement La clarification Mohamed Semlali Abbas El Fassi pensait que la fin de sa carrière politique avait sonné le jour où le Parti authenticité et modernité (PAM) a décidé de se retirer brusquement du gouvernement. Quand la nouvelle est tombée, le Premier ministre, qui était en visite à Tripoli, est resté sans voix, groggy sous la violence du coup que venait de lui asséner le PAM. Fallait-il y voir la main du Palais ? Le PAM était-il en roues libres? Les réponses divergeaient et les scénarios aussi. Mais le désarroi du Premier ministre ne durera pas longtemps. Le pays ne pouvait supporter une paralysie d'un gouvernement qui, certes, n'est pas des plus forts, mais qui demeure légitime aux yeux de l'opinion publique nationale et internationale. En prenant attache avec le conseiller Mohamed Moatassim, le Premier ministre était rassuré. La plus haute autorité du pays n'avait aucunement l'intention de procéder à un changement à la tête du gouvernement. Ce qui a été dit à Abbas El Fassi a été rendu public samedi matin dans une dépêche de la MAP qui informait les Marocains que le roi avait appelé depuis Paris son Premier ministre et lui avait par la même occasion renouvelé sa confiance. La première clarification a été faite. Le roi ne soutient aucun parti en particulier. La proximité d'El Himma avec le souverain ne veut en aucun cas dire que le PAM est un projet royal. Sur ce sujet les choses sont dorénavant on ne peut plus claires. Remaniement La deuxième clarification qui a eu lieu lors de cette mini crise concerne le PAM lui-même. Il dira ce qu'il voudra, mais Fouad Ali El Himma vient de se positionner en challenger pour diriger le gouvernement. Son retrait de l'équipe de Abbas El Fassi et son positionnement au sein de l'opposition en disent long sur sa volonté de chambouler les alliances existantes. Les dirigeants du parti ne veulent apparemment pas figurer dans un gouvernement où ils ont une petite représentation, sinon ils auraient accepté un remaniement au lendemain des élections communales et dans le quel Abbas El Fassi leur a semble-t-il proposé d'être présents en force. Le PAM a donc d'autres ambitions, notamment celle de devenir un parti majoritaire. Cela dit, il faudrait que le PAM sache faire de l'opposition qui convainque les Marocains. Jusque-là, se positionner contre le gouvernement qui tire sa légitimité de la confiance du roi peut se révéler problématique sinon carrément impossible. Toute opposition au gouvernement ne peut dans le système politique marocain que déboucher sur une opposition au roi. Ce qui est impensable pour le PAM, et cela principalement en raison de la nature de son créateur et de la composition de ses troupes. La troisième clarification est celle qui a trait au projet d'alternance politique qui a démarré en 1998. Aujourd'hui, on peut dire que l'une des premières incidences de la création du PAM est la fin du schéma auquel nous avons assisté depuis une décennie. Le système politique tel qu'il a existé jusqu'à maintenant est bel et bien mort. D'ailleurs, il n'y a qu'à voir la désaffection de la population envers la chose politique pour se rendre compte que l'avènement du PAM n'est que le premier changement d'une série d'autres qui interviendront dans les années à venir. La crise est peut-être plus profonde HAKIM ARIF Pour Abdellah Saâf,président du Centre des études et des recherches en sciences sociales (CERSS), les enjeux les plus importants des prochaines élections sont essentiellement «le taux de participation et la visibilité de la carte politique». Selon A. Saâf, ces échéances se dérouleront dans un contexte marqué par plusieurs événements politiques importants dont il importe d'apprécier l'impact, surtout avec l'annonce par le Parti Authenticité et Modernité (PAM) du retrait de son soutien à la majorité gouvernementale. La lecture de cette initiative s'avère difficile sous l'angle académique, du fait que cet événement n'en finit pas de susciter des réactions différenciées, estime l'universitaire. Les élections ont été un véritable test pour la majorité gouvernementale. Celle-ci a fini par casser suite à la décision du gouvernement d'interdire aux élus sous une bannière politique déterminée de se porter candidats sous une autre. Chose que le PAM a considérée comme une attaque franche contre ses candidats dont une grande majorité a quitté d'autres partis. Néanmoins, la crise n'est pas semble-t-il aussi grave. Le retrait du PAM peut ne pas affecter le travail du gouvernement. Si certains partis en ont senti le souffle, d'autres ne semblent pas avoir été touchés outre mesure. C'est en tout cas ce que pense Saâd Alami, ministre istiqlalien des relations avec le Parlement. Pour lui, la décision du Parti authenticité et modernité ne peut avoir aucune conséquence notable sur le travail gouvernemental. «Le gouvernement a toujours une majorité large». Ceci lui permettra de poursuivre son travail sans perturbations. Mais on peut valablement penser à une alliance entre le PAM et le PJD. Dans ce cas, l'opposition sera plus forte et le chemin tracé pour un gouvernement d'une autre alliance. Toutefois, la chose n'est pas envisageable. Saâd Alami ne pense pas qu'une telle alliance soit possible bien qu'il a lui aussi constaté une sorte d'apaisement dans les relations entre les deux partis. Le ministre en veut pour preuve le fait que les deux partis sont très éloignés dans leurs projets et leurs programmes, ce qui rend impossible tout rapprochement. En tout cas, il demeure convaincu que la sortie du PAM ne peut pas avoir de grandes influences sur le travail gouvernemental. Ce que pense exactement Abbas El Fassi, pour qui accuse le PAM de brouiller le paysage politique. "La justice, le gouvernement et le ministère de l'Intérieur ont donné satisfaction à ce nouveau parti en lui accordant le droit à la non-application de l'article 5 du Code électoral, permettant ainsi aux députés qui l'ont rejoint de se porter candidats alors que la majorité des partis y était hostile", a souligné le Premier ministre, qui déplore qu'au moment où on lui accordait ce droit, ce parti a annoncé son passage dans l'opposition". Incompréhensible donc pour Abbas El Fassi qui analyse enfin : "cette pratique relève de la brouille. Elle est sans précédent, ni au Maroc ni ailleurs. Un parti de la majorité qui passe dans l'opposition durant les élections, c'est aussi de la brouille". Du côté du Parti de la justice et du développement, rien n'est encore décidé. Abbas El Fassi aurait eu un entretien téléphonique avec Abdelilah Benkirane, SG du PJD, pour lui demander de ne rien décider tout de suite. Le Premier ministre avait sans doute entendu des dirigeants pigidistes parler d'une motion de censure contre le gouvernement de Abbas El Fassi. Le parti islamiste semble avoir compris les arguments du Le Premier ministre qui a dû calmer son homologue du PJD, qui lui a rappelé les critiques du maire istiqlalien de Fès, Hamid Chabat. Celui-ci avait dit dans un entretien à la télévision nationale que le PJD avait organisé un festival du vin à Meknès sous le mandat du maire pijidiste Belkora. Abbas El Fassi s'est alors désolidarisé de son ami Chabat arguant que le maire de Fès parlait en son nom propre et non pas au nom du parti. Le message est passé parfaitement et le PJD n'a rien entrepris pour le moment qui puisse contrarier le gouvernement actuel. Et que pense de tout cela le principal concerné, le PAM lui-même ? Il affirme par des canaux non officiels que s'il est dans l'opposition, c'est pour y rester jusqu'en 2012, date des élections législatives. Ce n'est donc pas un coup de tête ou une manuvre politique. Soit. Au PAM, on explique que le fait de rester dans un gouvernement faible représente une véritable aventure que le parti n'est pas près d'entreprendre. Elle comporterait d'énormes risques. Et on les comprend aisément. Le gouvernement étant faible, les partis qui y participent subiront le châtiment des urnes en 2012. Et le PAM voudrait être loin lorsque les électeurs auront sanctionné les ministres et les députés qui les soutiennent. Le calcul n'est ni bon ni mauvais, il est juste réaliste. En tout cas, l'attitude du PAM a sorti la scène politique de la mollesse et des caresses dans le sens du poil auxquelles les partis nous ont habitués depuis les années 80.