Il ne faut surtout pas baisser la garde. La question du Sahara marocain - ou des Provinces du Sud, si l'on préfère cette dénomination plus neutre - est toujours d'actualité. Elle s'impose au devant de l'actualité et requiert toute notre vigilance et appelle tous nos efforts. Il en sera ainsi jusqu'à ce que, définitivement, ce dossier épineux, non par la faute de la partie marocaine, sera clos et enterré. C'est-à-dire lorsque l'Algérie voisine, impérialiste à la prussienne, aura accepté que toute cette histoire, depuis la moitié des années soixante-dix, n'aura été en réalité qu'une manière de rendre un peu justice à un Royaume qui a tellement souffert des affres du dépècement opéré par le colonialisme européen durant des dizaines d'années - depuis les premières décennies du dix-neuvième siècle. Car tout cela remonte à bien loin. Les Anglais, les Allemands, les Turcs, et bien sûr les Français ainsi que les Espagnols principalement, lorgnaient avidement vers cet «empire fortuné», qui résistait de mille manières face aux entreprises hostiles tous azimuts. Le Maroc n'assumait pas seulement la défense de son territoire propre, mais avait conscience de son devoir de solidarité à l'égard des contrées avec lesquelles une histoire commune le rattachait indissolublement. En premier lieu, tout l'immense Sahara, des confins au sud de Tarfaya jusqu'au fleuve Sénégal et vers l'ouest jusqu'à celui du Niger, y compris Tombouctou. Faut-il parler, par exemple, du regard fraternel et volontaire que le sultan Abderrahman 1er posait sur l'ancien dominium turc de Tlemcen jusqu'à Constantine inclus. Le roi alaouite n'a dû rendre les armes, contraint et forcé, qu'après la défaite infligée au Maroc par la puissance française sur l'oued d'Isly, près de la ville d'Oujda, prélude de l'affermissement à la montée des visées de Paris sur un Maroc affaibli et qui donnait gravement du gîte. Après toute la lutte entreprise par la dynastie saâdienne, pour libérer les côtes atlantiques notamment, et de la poursuite du combat des monarques alaouites pour bouter hors du royaume Anglais, Portugais et autres Espagnols - ainsi que de contenir le flux ottoman au-delà de Tlemcen -, le Maroc a eu à se préoccuper des prétentions de la France sur tout le pays, dans son intention clairement exprimée d'atteindre l'Océan Atlantique comme de faire la jonction avec l'Afrique occidentale française pour parfaire «le seul tenant» agréable à l'il sur la mappemonde des dominateurs colonialistes cher à l'Hexagone. Première puissance militaire de l'Afrique du Nord, du Maghreb comme on ne l'appelait pas encore, cette rive méridionale de la Méditerranée, le Maroc a été grignoté systématiquement et méthodiquement de tous ses côtés, de toutes ses franges. Il s'agissait de l'affaiblir et de le réduire inexorablement à sa plus simple expression. Avant que la France ait imposé le Traité de Protectorat à une autorité royale débile, à Fès le 30 mars 1912, le pays ne ressemblait pratiquement à plus rien de ce qu'il avait été glorieusement des siècles durant. Des morceaux entiers étaient partis. Au Sud-Ouest, Tindouf, le Tidikelt et autres provinces ont été rattachés à l'Algérie, subjuguées sous l'appellation vague de Territoires français du Sahara, tandis que le Sahara occidental croupissait sous l'autorité de Madrid, auquel la France avait concédé le statut de sous-locataire du Protectorat sans aucune justification (au nord, la zone rifaine de Tanger, à Berkane, plus bas tout ce qui était au sud de l'oued Draâ). Peau de chagrin donc, qu'illustraient insidieusement les manuels scolaires mis à la disposition des élèves indigènes pour leur inculper la vision d'un mini-Maroc aux limites étriquées. Le parti marocain pro-français devait, après l'indépendance, en 1956, essayer de perpétuer cette vision mesquine du pays multiséculaire aux dimensions d'empire, légué par les Almoravides, les Almohades et autres dynasties prestigieuses. Une campagne de dénigrement odieux s'employait à dévaloriser, on s'en rappelle, l'image et le message d'une flamboyante figure comme celle du dirigeant historique Allal El Fassi, qui parlait du Maroc historique, celui de la mémoire et de la réalité de toujours qui voulaient rétablir une vérité avérée : le Maroc sans solution de contuinité jusqu'en Afrique subsaharienne. Las, grâce à la France gaullienne, la Mauritanie a été créée, puis l'Espagne franquiste essaya d'installer à Oued Eddahab et Sakia El Hamra un Etat fantoche à la population microscopique et nomade. Contrairement au cas précédent, la manuvre ne réussit pas, et cela grâce au sursaut patriotique initié par le roi Hassan II, qui sut faire récupérer ce territoire, petite partie de tout ce qui a été spolié. Le Maroc avait fait son deuil du pays des Maures, mais ne pouvait pas, à moins d'une pulsion suicidaire, accepter que ce dépeçage nouveau soit perpétré. L'Algérie se posant en adversaire déterminé du Royaume dans la juste action qu'il menait depuis des lustres au sein des instances internationales comme à l'intérieur du Royaume même, le souverain défunt ainsi que le Mouvement politique national essayèrent de se convaincre que, malgré tout, les gouvernants d'Alger pouvaient peut-être revenir à la raison et reconnaître leurs erreurs pour accorder à leur «voisin fraternel» le bénéfice de la légitimité de sa revendication insistante d'une intégrité territoriale - gravement amputée. C'était mal (et mé) connaître les héritiers du F.L.N., qui souffrent d'une amnésie nourrie par une ingratitude sans fond. Ahmed Ben Bella, puis après lui Houari Boumediene et d'autres épigones jusqu'à l'actuel Abdelaziz Bouteflika, ont fait la sourde oreille et ont considéré que la promesse d'ouvrir les négociations pour liquider le contentieux algéro-marocain au mieux des intérêts des deux parties, après l'indépendance de la patrie de l'émir Abdelkader, était chiffon de papier sans aucune valeur, malgré la signature solennelle du président du G.P.R.A., Ferhat Abbas, à côté de celle de Hassan II. Une nouvelle phase, à partir du début des années soixante, commença dans le flou et le filandreux, entre Rabat et Alger - atmosphère entrecoupée de climats contrastés (le moins qu'on puisse dire) - pour franchement se crisper et se durcir. L'Algérie s'employa à saboter systématiquement et à essayer de dynamiter le processus de retour-intégration du Sahara occidental à la Mère-Patrie. Comment et pourquoi ? On essayera de voir cela clairement, la semaine prochaine