L'image de la presse et du journalisme est, malheureusement, ce qu'elle est depuis longtemps, c'est-à-dire négative dans sa généralité. L'opinion publique - oui, elle existe quoi qu'on en dise - regarde le «quatrième pouvoir» avec un il narquois ou exaspéré ou sévère ou méprisant, quelquefois, mais rarement, plein de commisération. D'autres sentiments aussi parcourent en permanence la maigre quantité de lecteurs qu'excipe le Royaume, qui, si elle ne se rétrécit pas comme une peau de chagrin, n'en est pas moins dérisoire au vu des comparaisons avec les chiffres qu'offrent, à la réflexion, beaucoup de pays comparables au nôtre, du moins en ce qui concerne ce qu'on appelle les indicateurs du développement humain notamment. Les projections sur l'avenir proche restent peu réjouissantes, surtout que l'atmosphère générale politique et médiatique ne permet pas l'optimisme, tant les rapports entre le pouvoir et la corporation concernée sont presque systématiquement marqués par la crispation ou, pis, par le bras de fer asymétrique. La majorité actuelle serait-elle à ce point inerme qu'elle serait totalement impuissante à aller de l'avant pour faire installer durablement, enfin, des murs libérales à la hauteur des aspirations de ce peuple et de ce pays ? En tout cas, cela urge vraiment et on commence à se fatiguer des retards inexpliqués qui s'accumulent, laissant un domaine aussi important que celui qui nous intéresse en pleine déshérence, sans même de perspective au moyen terme. Ces atermoiements, surtout de partis politiques affirmant à tout bout de champ leur attachement principiel et quotidien à la liberté d'expression, sont incompréhensibles - et condamnables. Lors du précédent gouvernement présidé par Monsieur Driss Jettou, on avait fait circuler une mouture de code de la presse plutôt bien rédigée et on a fait polariser l'attention des différents partenaires politiques, comme de la presse d'ailleurs, sur la question (subsidiaire en réalité) des peines dites privatives des libertés : trop, trop peu, pas du tout, etc. Comme si l'essentiel était là ! Qu'on nous permette de dire crûment le fond de notre pensée. Ce fut un beau fiasco, qui n'a même pas eu de fin glorieuse ou honorable puisqu'il s'en est allé comme une fin de comète lointaine. L'actuelle équipe gouvernementale joue apparemment sur le registre de l'apaisement : par intervalles réguliers, le porte-parole du cabinet - également ministre de la Communication - se charge de faire patienter l'opinion en affirmant que «tout cela est pour très bientôt» et qu'il ne s'agit que de patienter sagement. Du dilatoire exaspérant. Patience et longueur de temps, on veut bien, puisque les Marocains ont déjà laissé suffisamment de temps au temps Mais, on serait très heureux de pouvoir satisfaire notre curiosité en comprenant simplement pourquoi tout ce retard et à quoi, précisément, il est imputable. Qui sont les responsables de ce piétinement à l'Arlésienne ? La majorité parlementaire n'arriverait-elle pas à s'imposer dans ce dossier et subirait-elle des épreuves en coulisses, analogues à celles qu'a connues un long moment le texte du code de la route ? Ce serait désespérant, à vous pousser à ne plus croire en la lucidité collective de nos compatriotes ou du moins en le degré de conscience de notre classe politique. De grâce, offrez-nous quelque chose de consistant à nous mettre sous la dent pour nous permettre de le mâcher ainsi que de le déglutir pour, tranquillement, le digérer afin que cet aliment puisse nourrir notre mental et fortifier l'édifice naissant de notre démocratie domestique - celle de la monarchie parlementaire désirée ardemment. Ne nous laissez pas, Buridans de la démocratie et de la liberté, mourir de faim comme de soif, coincés entre les deux désirs d'itinéraires convergents. Et si vous n'avez pas assez d'imagination (ou de savoir-faire) pour concocter un texte décent qui satisferait tout le monde ainsi que le reste, alors nous vous invitons à regarder autour du Royaume vers les pays à forte et belle tradition démocratique, en Europe, en Amérique, au Japon et ailleurs Nous ne voulons pas mourir, disparaître avant de vivre cette révolution culturelle de grande dimension, qui nous aiderait à comprendre enfin que nous avons accompli notre mutation, la seule qui vaille, celle de l'esprit et par conséquent des murs structurantes de la modernité stimulante du progrès. Est-ce trop demander à l'équipe d'un Premier ministre qui veut tirer tout son pouvoir d'action et de stimulation populaire de la volonté exprimée par la majorité sortie des urnes. Il y a peu de temps, nous demandions ici même, dans ces colonnes, que monsieur Abbas El-Fassi inscrive ses pas dans ceux de son prestigieux prédécesseur Hadj Ahmed Balafrej qui, en novembre 1958, eut à cur de faire aboutir le chantier décisif des libertés publiques qu'a été le code de la presse marocain d'alors. Toutefois, il faut poser la question de savoir si, honnêtement, le jeu en vaut la chandelle. Cette presse, cette communication valent-elles tout cet intérêt et toute cette sollicitude ? En tout état de cause et sans l'ombre d'une hésitation, oui, oui et oui ! En cela, nous ne voulons aucunement poser à l'originalité ou au signe annonciateur, mais tout simplement faire inscrire résolument le pays dans le sillon qui a aidé de multiples nations à émerger définitivement à la modernité responsable. D'une manière générale, tous ces pays avaient des journaux et des publications ainsi que des médias d'un niveau qui n'approchait pas de l'excellence, loin s'en fallait. Ce qui était sûr, c'est que pour arriver à cette situation enviable démocratiquement, il y a fallu une aide, ainsi qu'un soutien multiforme et conscient de toute la société. Au Maroc aussi, il n'est pas question d'attendre que la presse et les médias arrivent à une certaine maturation décisive de qualité pour songer à leur octroyer le label dont nous parlons et les conditions perfectionnées idéales pour l'épanouissement de la liberté agissante. Plus simplement, c'est le mouvement dialectique dynamique qui commande, sans qu'il soit nécessaire d'attendre des effets d'ordre mécanique ou déterministe. Les défauts de notre presse nationale sont connus et ont été diagnostiqués depuis longtemps, de manière satisfaisante. Il serait peu responsable de croire qu'il puisse être possible de réformer quoi que ce soit par volontarisme avec les plus belles intentions et les meilleures résolutions. La presse chez nous charrie malheureusement des journalistes qui ne sont pas, pour le moins, des modèles de vertu dans leur comportement. Mais sont-ils pires que leurs consurs et leurs confrères d'ailleurs dans le monde ? Si on répond sans trop de précautions oratoires, peut-être bien qu'ils sont souvent, c'est triste de devoir l'affirmer, plus près du bas que du haut. On peut étayer cette assertion, exemples à l'appui, sans trop de difficultés ni de maquillages. La semaine prochaine, pour suite d'éclairage