45 victimes périssent dans des attentats terroristes perpétrés au cœur de Casablanca. Dix ans après, victimes directes, familles des victimes et familles des détenus n'ont toujours pas tourné la page. Le 16 mai 2003. 22h15. Casablanca est secouée par cinq attentats-suicides quasi-simultanés qui avaient visé l'hôtel Farah, la Casa Espana, un restaurant italien et des cibles juives comme le Cercle de l'alliance israélite et un ancien cimetière juif. Dans la seule Casa Espana, près d'une vingtaine de personnes ont péri. Ces attentats-suicides ont fait 45 morts, dont 12 kamikazes, et une centaine de blessés. La majorité des victimes étaient de nationalité marocaine. Quatre Espagnols, trois Français et un Italien sont également morts à la suite de ces attaques. Les quatorze kamikazes, âgés entre 20 et 25 ans, dont deux ont été arrêtés après avoir renoncé à se faire exploser au dernier moment, venaient pour la plupart de Sidi Moumen, un quartier de bidonvilles à la périphérie de la ville. Liés à l'organisation d'Al Qaida, les attentats du 16 mai ont montré que le Maroc n'était pas si « intouchable » qu'on le laissait croire. Au lendemain des attentats, l'Etat passe à l'action et multiplie les arrestations. Certaines personnes interpellées ont été libérées, d'autres sont restées à l'ombre et le resteront encore pour longtemps. 10 ans après le drame, les victimes directes de l'attentat s'en rappellent encore comme si c'était hier. Les détenus et leurs familles, eux aussi, souffrent encore et n'arrivent toujours pas à tourner la page. Une page noire de l'histoire que les marocains ne sont pas prêts d'oublier. Les oubliés du 16 mai Souad Begdoury Khammal, un nom désormais connu, et qui l'a été dès les commémorations des attentats du 16 mai. Souad n'est autre que cette mère qui a perdu son fils Tayeb, à la fleur de l'âge, et son mari, Abdelouahed, avocat lors des explosions. Dix ans plus tard, celle qui a créé l'Association des victimes des attentas du 16 mai 2003 a toujours du mal à digérer la perte de ces deux être si chers. Agé de 18 ans, Tayeb, étudiant au Lycée Mohammed V de Casablanca, devait décrocher son baccalauréat cette année-là. Sauf que des terroristes en ont décidé autrement. « Il n'y a pas un jour qui passe sans que je pense à mon fils qui serait devenu avocat comme son papa. La mort m'a arraché ce que j'ai de plus précieux. J'ai perdu ces deux êtres chers sans préavis. Aujourd'hui, j'essaie toujours de m'adapter à la réalité. La meilleure thérapie pour moi est le recueillement sur leurs tombes que je m'offre chaque vendredi. Même si les années passent, la blessure est toujours là », confie Souad Khammal. Elle ajoute que toutes les victimes de ces attentats on aujourd'hui besoin de savoir les vérités et connaitre les vrais coupables. « Tout le monde est conscient que l'Etat a effectué des arrestations sur le tas à cette époque-là. Ceux qui sont encore en prison et les autres qui ont été graciés ne sont pas forcément les vrais coupables », insiste-t-elle. Même son de cloche pour Mohamed Zerrouki, président de l'association des victimes et familles des victimes du 16 mai et victime des attentats. Souffrant d'une incapacité permanente partielle de travail (IPP) de 40%, Mohamed, âgé aujourd'hui de 58 ans, regrette même «d'avoir survécu au drame ». Et pour cause ! « Avant le drame, je touchais 30.000 dirhams par mois. Aujourd'hui, je touche une pension de 1.400 dirhams seulement après ma retraite anticipée », regrette-t-il, les yeux mouillés. Il vit aujourd'hui, en compagnie de sa famille, chez son frère. Selon l'association des victimes et familles des victimes du 16 mai, tous les blessés des attentats ont une IPP variant entre 20 et 80%. Ce qui a poussé la majorité à laisser tomber leurs emplois. A l'exemple de Mesbah Fiach, autre victime des attentats, qui touchait 45.000 dirhams. Aujourd'hui, ce père de deux enfants qui a perdu l'œil gauche et ne voit pratiquement plus du droit a une IPP de 80%. Depuis 2003, il ne peut plus travailler. En 2005, la gratuité des soins lui est retirée. Entre les problèmes gastriques, l'urticaire et les clous en fer éjectés par les bombes toujours plantés dans son corps, Mesbah souffre. Surtout qu'il n'arrive plus à joindre les deux bouts. Outre l'incapacité de suivre le cours normal de leur vie, toutes ces victimes ont beau demander de l'aide aux responsables. En vain. Les familles des détenus sont elles aussi des victimes ? Zouhra Fennani, mère d'Abdellatif Amrine, surnommé Abou Hamza, l'un des condamnés après les attentats, souffre le martyre depuis dix ans. Vivant toute seule à Bernoussi, la mère pleure son fils qui paie encore le prix du drame de 2003 même si, selon elle, il n'est pas coupable. Agé de 35 ans et souffrant d'hémophilie, Abou Hamza frôle la mort à chaque fois qu'il perd du sang. «Trois de ses frères sont décédés à cause de cette maladie. C'est héréditaire chez nous. Après son arrestation, il a été torturé et a perdu beaucoup de sang. Aucun hôpital ne voulait le soigner. Tout le monde croyait qu'il était mort. Il est mon seul lien à la vie. Si je le perds aussi, que me restera-t-il ?», pleure Zouhra qui rapporte qu'elle a été elle-même terrorisée en apprenant qu'on a arraché la barbe poil par poil de son fils pour lui soustraire des aveux. « Il a fait une grosse crise et n'a jamais perdu autant de sang. Après l'avoir cherché dans tous les hôpitaux, je l'ai trouvé à Rabat. On m'a refusé l'accès mais j'ai insisté pour le voir une dernière fois. Il était dans un état lamentable », se rappelle-t-elle. Condamné à 30 ans de prison, Abdellatif en purge deux ans et est ensuite gracié. Quelques années après, il est condamné encore une fois pour huit ans de prison pour complicité avec Abdelfattah Riyadi, coupable de l'attentat perpétré dans un cyber à Sidi Moumen en 2007. « Mon fils avait besoin de 15.000 dirhams pour se faire enlever une dent. Il avait souvent des hémorragies qui l'immobilisaient. Maintenant qu'il est à Oukacha, j'attends d'apprendre la nouvelle de sa mort chaque jour que je rouvre les yeux. Mon fils souffre et les responsables s'en moquent », regrette Zouhra. Vendeuse de fripes à Lakriâa, cette mère a du mal à payer son loyer. Vivant seule, elle est certaine que le jour où elle mourra, elle ne trouvera personne pour l'enterrer. Même l'autre fils qui lui reste l'a délaissée pour habiter seul. De son côté, Sanaa Hadri, 31 ans, épouse de Rachid Laâroussi vient d'avoir son quatrième enfant en 2012. Malgré sa lutte et son combat pour la liberté de son mari, Sanaa baisse parfois les bras et pleure la situation de ses enfants qui vivent loin de leur père et qui sont souvent traités « d'enfants de terroriste ». «Mon dernier bébé ne connait pas son père. Il ne l'a jamais vu. Est-ce une vie à votre avis ?» se désole Sanaa. D'une détermination exemplaire, cette mère tente tant bien que mal de joindre les deux bouts en attendant la libération de son époux. Incarcéré à la prison locale de Tanger, Rachid Laâroussi, condamné à 20 ans de prison, a aujourd'hui envie de vivre auprès des siens. «Il n'y a pas un jour qui passe sans que je parle à mes enfants de leur père. C'est de plus en plus difficile pour moi de jouer le rôle du père et de la mère. J'ai beau frapper aux portes des responsables. En vain», précise-t-elle. Aujourd'hui, Sanaa souffre de tension et d'allergies. Elle prend des médicaments pour arriver à dormir et oublier, le temps de quelques heures, le drame qu'elle endure. Pour Anas Haloui, président du comité de soutien des détenus islamistes, on ne connait toujours pas l'identité de ceux qui ont perpétré les attentats de mai 2003. « L'Etat a condamné les gens au lot mais n'a toujours pas su qui est responsable du drame. Ce n'est pas de cette façon-là qu'on devrait éradiquer le terrorisme », explique-t-il. Paru dans le n°216 de L'Observateur du Maroc