LA CHRONIQUE QUI SUIT J'AI DÛ l'écrire plusieurs fois, peut-être pas dans la même forme mais avec le même contenu. C'est un mal marocain, pas vraiment méchant, mais chronique. Pas vraiment méchant parce qu'on arrive à vivre avec, et chronique parce qu'aucun de ses protagonistes, gouvernement et journalistes, ne réussissent son ablation. Le premier ministre Abdellilah Benkirane a bien entamé sa chefferie du gouvernement dans les bonnes grâces de la presse. « Et rose [cette relation] a vécu ce que vivent les roses/l'espace d'un matin ». Malherbes aurait pu ajouter : n'en sont restés que les épines/qu'on n'arrive pas à ôter des pieds des autres et des uns. La presse et les gouvernements n'ont jamais fait bon ménage et il en sera ainsi jusqu'à la fin des temps. Des rapports en dents de scie qui fluctuent selon les intérêts de ces deux inséparables partenaires. Aucun ne prendra jamais son mal en patience. LA PRESSE CRITIQUE BENKIRANE ET SON GOUVERNEMENT ; Benkirane et son gouvernement le prennent mal. Et il n'en faut pas plus pour que le chef du gouvernement crie au loup qu'il appelle dans son jargon les crocodiles : les journalistes sont remontés contre lui, hurle-t-il, sous entendu qu'ils sont payés pour lui pourrir la vie. A leur tour, les journalises le prennent mal, s'enclenche ainsi une dialectique devenant vite une mayonnaise qui prend bien. Benkirane tourne le dos à la presse marocaine et s'adresse à l'étrangère, il n'est dans ce cas ni le premier, ni le dernier. Ce que la presse ignore ou feint d'ignorer, c'est que Benkirane est dans son rôle de RP pour vendre à cet extérieur dont on a tant besoin les évolutions que connait le royaume. Il en profite pour se passer une couche, c'est humain et chacun sait que ce chef de gouvernement n'a rien de divin. Ce que lui ignore c'est que la presse est un mal nécessaire dont il faut s'accommoder. Je ne sais plus où je l'ai lu, mais c'est Winston Churchill, je crois, qui disait, en substance, que la critique pour désagréable qu'elle soit, est comme la douleur, elle pointe une maladie. Mais Churchill n'est pas marocain. ABDELILAH BENKIRANE, QUI N'EST PAS BRITANNIQUE, appartient au commun des mortels. La preuve par Abdellatif Filali. Ministre de l'information, ne comprenant pas que la presse ne se fasse pas le relais des réalisations du gouvernement, il nous avait traités de sous-développés. Je lui avais répondu qu'il avait entièrement raison. Nous sommes à l'image de nos gouvernants et de ce que les gouvernements qui se sont succédés, ont fait de nous. Abderrahamane Youssoufi, encore seulement premier secrétaire de l'USFP, interrogé sur la marge de liberté qu'il laisserait aux journalistes de son journal une fois au gouvernement, il avait affirmé qu'au contraire il l'a renforcerait et appuierait son devoir de critique car il considérait la presse comme la conscience du pays. Réunissant les directeurs des journaux à l'occasion du premier anniversaire de l'alternance consensuelle, il s'est plaint de la cabale que la presse menait contre les lenteurs de son gouvernement : « on nous prend pour un pushing-bull, chacun se fait la main sur nous. » Que Costa Gavras me pardonne de paraphraser la réplique qu'il met dans la bouche d'Yves Montand dans son film, L'état de siège : les gouvernements passent, leurs bêtises restent.