Les associations de défense des droits des femmes prennent désormais la défense du «troisième sexe». L'hermaphrodisme n'est donc plus un tabou pour ces féministes. Si l'hermaphrodisme a, pendant longtemps, été considéré comme un grand mystère, le débat devient aujourd'hui (enfin !) possible sur le sujet. Chez les associations de défense des droits des femmes, l'intersexualité a toujours suscité la curiosité. Mais sans plus. En 2011, Chadia, une jeune hermaphrodite, avait soulevé le débat à Nador lorsqu'elle a été violentée par une vingtaine de personnes au centre de cette ville à cause de son physique jugé par ses agresseurs «contre-nature». Accompagnée de sa nièce lors de l'agression, elle a failli y laisser sa peau, si ce n'était l'intervention in-extremis des forces de l'ordre qui l'ont arrachée des mains de ses agresseurs. Ces derniers croyaient avoir affaire à un homosexuel déguisé en femme. Depuis, la question de l'intersexualité a été abordée, même si timidement. Mais les associations des droits des femmes tentent aujourd'hui, tant bien que mal, de soulever le problème et de soutenir ceux et celles qui en souffrent. Pour Touria Naji, de l'Association Jossour Forum des femmes marocaines, l'hermaphrodisme dérange plus que l'homosexualité. «La société n'admet pas les exceptions. Surtout dans ce genre de cas. C'est pour cela que la tâche de la société civile reste difficile. Parce que pour faire accepter la chose à une communauté patriarcale, qui a toujours estimé que l'homme et la femme ne seront jamais égaux, n'est pas une mince affaire», explique-t-elle. Elle ajoute que l'association compte aborder publiquement le sujet, mais ne s'est pas encore décidée quant à la façon avec laquelle cela sera fait. «Avant de penser à organiser des manifestations, on a aujourd'hui besoin de prévoir une campagne de sensibilisation pour expliquer à la société que 200 enfants nés par an sont hermaphrodites. C'est plus une erreur de la nature qu'autre chose. Je suis consciente que cela sera difficile mais pas impossible», assure la militante. Une société de préjugés Pour Rachida Saoui, de la Ligue démocratique des droits des femmes, l'hermaphrodisme est mal accepté parce qu'il a trait à la sexualité. «On a tendance à introduire la sexualité dans tous les sujets. Cela résulte de l'absence de l'éducation sexuelle dont souffrent les Marocains. Si nous avions eu une bonne éducation sexuelle dès notre jeune âge, cela aurait évité beaucoup de dérapages et d'incompréhensions», précise-t-elle. Aujourd'hui, même si le débat est quelque peu soulevé, la société civile ne sait toujours pas la façon avec laquelle il faut traiter le sujet, sans pour autant choquer. Et d'ajouter : «Le mot hchouma gèle tout dialogue malheureusement. Certains ne savent même pas que cela existe. Aujourd'hui, notre seule et première référence en tant qu'association de lutte pour les droits des femmes reste l'islam qui a toujours reconnu l'hermaphrodisme et en a parlé ouvertement. On pense aussi à impliquer les écoles et les médias pour faire passer le message». D'ailleurs, une grande partie de la société civile compte sur le soutien de Noor, l'artiste qui souffre encore du regard de la société qui refuse d'accepter sa transformation sexuelle. «Lorsque Noor avait «osé» parler ouvertement de son problème dans une émission connue sur une chaîne libanaise, elle a été attaquée de partout et a suscité l'indignation de la société. Aujourd'hui, ses sorties médiatiques choquent toujours, même si elle ne fait que demander son droit. Cela prouve que les Marocains refusent de s'ouvrir ou de parler de l'hermaphrodisme, même s'ils sont conscients de son existence. Ils préfèrent agresser plutôt que de faire réellement face au problème de cette minorité de gens qui souffrent en silence», souligne Naoual Mrimi, de l'Association démocratique des droits des femmes. Mais pour elle, pour sensibiliser, il faut éviter de choquer en abordant de sujet. «Contrairement à d'autres causes plus importantes, la société refuse de s'ouvrir et d'accepter le dialogue au sujet de l'intersexualité. Peut-être qu'elle considère encore, comme au Moyen Âge, que l'ambivalence des organes sexuels est un outrage à Dieu», note N. Mrimi. Aujourd'hui, plusieurs personnes se sentent d'un autre sexe que celui sous lequel elles sont inscrites à l'état civil ou qui n'ont pas le sentiment d'entrer de manière stable dans aucune des deux classes. Toutes préfèrent enterrer leurs maux plutôt que d'en parler ouvertement, de peur d'être bannies d'une société qui refuse toute exception. «Le débat sur l'hermaphrodisme fait partie de notre agenda. On compte en parler et on est certain qu'on réussira à faire changer le regard de la société. Qui aurait dit un jour que le Sida ou le viol seraient ouvertement débattus ?», explique Rachida Saoui. Pour Touria Naji, les hermaphrodites devraient avoir droit de choisir le sexe qui convient à leur réalité sexuelle au lieu de se plier aux préjugés de l'entourage. «Je rêve de voir tout être humain libre et vivant sa vie comme bon lui semble. On ne demande pas la lune, mais j'estime que c'est le strict minimum pour une vraie dignité humaine. Pourquoi juger des gens victimes d'erreurs de la nature ?», se désole la militante de l'association Jossour. A quand, justement, une reconnaissance légale de l'hermaphrodisme ? Autres articles du dossier . Faut-il bannir la différence ? . Hermaphrodisme : une anomalie congénitale très rare . Entretien avec la danseuse Noor