Cinq mois après le meurtre du petit Adnane Bouchouf, son assassin a été condamné à la peine capitale. Entre satisfaction, réclamation de son exécution et appels à sa suspension, ce jugement remue le grand débat à propos de l'abolition de la peine de mort. Le droit à la vie pour tous l'emportera-t-il sur le désir de châtier ? Par Hayat Kamal Idrissi Expier ses crimes
« Aucune compassion ni pitié pour le meurtrier de Adnane. Il a violé son enfance, volé sa vie et anéantit la paix de sa famille à jamais. Seule sa mort pourra expier l'atrocité de son crime », écrit un internaute en réaction à l'annonce du jugement du tueur de l'enfant tangérois. Une colère et un dépit qui sont partagés par un grand nombre de followers de cette page d'information et que ces derniers n'hésitent pas à exprimer en appelant à l'application effective de la peine de mort. « Il ne suffit pas de prononcer ce jugement. Nous réclamons son application dans ce cas précis et à l'encontre de tous les tueurs d'enfants », soutiennent-ils à l'unanimité Une réaction assez particulière qui peut être expliquée par l'atrocité du crime et par la grande émotion suscitée par l'affaire de Adnane, en septembre dernier. Rappelons que suite à la découverte de son corps et l'arrestation de son tueur, un large mouvement s'est organisé sur les réseaux sociaux pour réclamer la peine de mort et son application sur le coupable. Article 20, Droit à la vie
Une affaire qui a d'ailleurs remonté à la surface le grand débat à propos de l'abolition de cette peine jugée « anticonstitutionnelle » par le Conseil national des droits de l'Homme CNDH. Une forte conviction qui l'a poussé, en novembre dernier, à appeler les autorités marocaines à voter en faveur de la résolution relative au moratoire universel sur l'application de la peine de mort. Ceci lors de la session de la troisième commission de l'Assemblée générale des Nations Unies. « Le vote du Maroc pour cette résolution constitue une mise en œuvre de l'article 20 de la Constitution, qui stipule que la loi protège le droit à la vie en tant que droit premier de tout être humain », argumente l'instance. Rappelons que le CNDH tente depuis des années de sensibiliser l'opinion publique à la dimension humaine de l'abolition légale de la peine de mort. En octobre 2019, le conseil recommande dans un mémorandum relatif à la révision du code pénal, l'abolition de la peine de mort « qui est plus qu'un pré-requis à l'Etat de droit, elle est une nécessité dans toute société juste et libre où la dignité des citoyens est non seulement respectée mais protégée» argumente-t-on auprès du CNDH.
Simple vengeance
Considérée comme une vengeance plutôt qu'une punition, la peine capitale a toujours été rejetée par les activistes des droits de l'homme. Pour Dr Youssef Rabhi Belarbi, homme de loi et acteur associatif au mouvement Alternatives, la peine de mort est « un châtiment dépassé et qui n'apporte pas un réel réconfort », soutient-il. « Des peines de longue durée de prison allant jusqu'à 30 ans avec un accompagnement psychique pour les pédophiles par exemple nous semble adéquates. Car respectant l'humanité du «criminel» et la douleur des victimes et de leurs familles tout en faisant justice», ajoute Dr Rabhi Belarbi. Comme tous les défenseurs des droits humains, le juriste insiste sur l'importance du respect du droit à la vie des condamnés malgré leurs méfaits. De son côté Dr Souad Tiali, professeur à la faculté de droit de Fès et membre du bureau central de l'IPDF (Initiatives pour la protection des droits des femmes victimes de violence) : «C'est un être humain qui a fauté. Certes ses actes sont condamnables, mais ça n'empêche qu'il doit jouir de ses droits humains. La peine de mort n'est pas persuasive et elle n'a jamais prouvé son efficacité dans la limitation des crimes de toutes sortes», argumente la juriste. Cette dernière reconnait que la loi marocaine est assez sévère envers les criminels perpétrant des actes hautement violents et dangereux pour la société. La peine capitale fait en effet partie des châtiments réservés à cette catégorie. Exécutés par fusillade
Rappelons que le code pénal marocain prévoit la peine de mort par fusillade pour l'homicide aggravé, la torture, le vol à main armée, l'incendie criminel, la trahison, la désertion, sans oublier certains types d'attentat concernant le Souverain ou les membres de la famille royale, spécifiés en détails dans la section « Des attentats et des complots contre le Roi, la famille royale et la forme du gouvernement », Articles 163 à 180.
Notant la grande spécificité des crimes contre les enfants, Dr Tiali nous rappelle la fameuse sentence prononcée contre Al Hadi, le pédophile tueur en série de Taroudant qui a été condamné à la peine de mort. Une affaire sordide qui a défrayé la chronique à l'époque. « Le problème réside dans l'application. La peine de mort est prévue par l'article 474 du code pénal lorsque l'enlèvement est suivi de la mort du mineur mais c'est rare que cette sentence est prononcée», note, avec regret, Maître Lamia Faridi du barreau d'Agadir, travaillant souvent sur des affaires de pédophilie. Tuons-les !
Même frustration du côté de Najia Adib, président de l'association « Touche pas à mes enfants ». N'ayant de cesse de dénoncer la «mollesse» de la justice marocaine par rapport aux pédophiles, Adib se joint aux nombreuses voix appelant à l'application de la peine capitale. «Même pour les violeurs mineurs qui bénéficient souvent de circonstances atténuantes», explique, intransigeante, la militante associative. Lançant il y plus d'un an une pétition pour la castration chimique des pédophiles, l'association «Touche pas à mes enfants» est passée à la vitesse supérieure suite au meurtre de Adnane. Trêve de simples réclamations, l'association fait recours à la constitution pour procéder à une refonte de la loi par la force de la volonté du peuple. «Cette pétition est notre moyen pour changer la situation, pour refouler les prédateurs et protéger nos enfants», commente la présidente. Au lendemain de la découverte du corps de Adnane à Tanger, l'association a lancé une nouvelle pétition qui a été largement partagée sur les réseaux sociaux pour collecter un million de signatures. Son objet ? Appliquer la peine de mort contre les pédophiles. Dans le couloir de la mort
Zéro tolérance pour les violeurs d'enfants, mais le couloir de la mort au Maroc n'abrite pas que ce type de condamnés. Selon les chiffres officiels de la présidence du ministère public, cités dans son dernier rapport annuel, se sont 72 détenus condamnés à mort dont une seule femme. Ils ont commis des crimes de différentes natures à l'encontre de 152 victimes. Même si les condamnations continuent à être prononcées ( 23 rien qu'en 2019), la dernière exécution remonte cependant à 1993 contre le commissaire Mustapha Tabit.
Rarement prononcée, le nombre des condamnés par cette peine continue de baisser comme l'affirme ce rapport. Ainsi, 197 personnes étaient condamnées à mort en 1993, contre 72 à fin 2019. En 26 ans, cette population a vu son nombre baissé de 63,4%. En 2019, un record a été enregistré cependant avec 23 condamnations contre une moyenne annuelle antérieure d'à peu près 11 condamnations par an. Ces détenus ont tué 25 victimes, dont 8 ont également subi des agressions sexuelles : 3 enfants et 5 adultes. Âgés entre 21 et 60 ans, 20 d'entre eux sont coupables d'actes de terrorisme. Une trentaine ont toujours la possibilité de faire appel via les recours juridiques tandis que 42 sont condamnés définitivement. Le tueur de Adnane va les rejoindre dans cette terrible attente d'une fin qui viendra ou ne viendra pas. Seront-ils exécutés ou continueront-ils de profiter de cette « vie en sursis » ? A suivre !