Surnommée « clameur des étoiles », la future arène sportive de la métropole sera bientôt mis en chantier, après deux ans au point mort. Un projet titanesque que certains jugent démesuré. Cette fois-ci devrait être la bonne. Après deux reports et trois appels d'offres auprès des cabinets d'architectes, le chantier du grand stade de Casablanca est enfin relancé. Le timing choisi pour redonner le coup d'envoi à ce projet n'est certainement pas le mieux choisi vu le contexte de crise économique. Mais il faut dire que la ville blanche, épicentre du football marocain grâce à ses nombreux clubs qui dominent généralement le championnat, a subi un coup dur. En septembre dernier, la sanction est tombée comme un couperet : Casablanca ne fera pas partie des villes retenues pour accueillir les matchs de la Coupe d'Afrique que le royaume organise en 2015. « Le complexe Mohammed V a été écarté pour des raisons de sécurité », a alors déclaré le ministre de la Jeunesse et des Sports, Mohamed Ouzzine. Quelques semaines plus tard, le 11 octobre, Casablanca était au cœur du discours royal prononcé lors de l'ouverture de la session parlementaire. Depuis, les grands chantiers de la ville ont connu un coup d'accélérateur, notamment celui du grand stade, dont le financement figure dans la Loi de Finances 2014. Un casse-tête technique Initié par une convention-cadre signée en 2008, ce projet structurant de la ville est resté en souffrance pour plusieurs raisons techniques, à commencer par le choix du site. D'abord prévu à Bouskoura, ce stade d'une capacité de 70 000 spectateurs devait ensuite voir le jour dans le quartier de Sidi Moumen. Mais en plus de la rareté du foncier, les études géotechniques ont démontré la non-faisabilité du projet à Sidi Moumen, dont le sol a été fragilisé par l'existence d'une ancienne carrière longtemps exploitée. Finalement, c'est la bourgade de Tit Mellil, située en périphérie de Casablanca, qui sera retenue pour abriter le projet sur 64 hectares de terrains domaniaux acquis par la Sonarges (Société nationale de réalisation et de gestion des stades). L'autre défi technique était de savoir si le terrain devait inclure une piste d'athlétisme ou être conçu à l'anglaise, avec une pelouse la plus proche possible des spectateurs. Le groupement d'architectes, constitué du cabinet coréen Space Group Ltd (un mastodonte qui a construit le stade de Séoul pour la Coupe du Monde en 2002) et des architectes marocains (Saïd Belahmer, Chakib Benabdellah et Mohamed Bouchebti), a opté pour le deux-en-un. Il a livré les plans d'un stade avec gradins rétractables, qui peuvent recouvrir ou non la piste d'athlétisme selon les besoins. Mais de l'avis de l'architecte Saïd Belahmer, cette solution peut s'avérer onéreuse : « Au stade de France, qui est doté de tels gradins, chaque manœuvre pour les déplacer coûte 400 000 dirhams, sans compter les frais de personnel et de maintenance des installations ». Un investissement dont la rentabilité ne sera pas forcément assurée. « Le dernier meeting d'athlétisme organisé au grand stade de Tanger n'a pas attiré plus de 15 000 spectateurs, alors que l'accès était gratuit. Il serait inopportun d'investir dans une piste d'athlétisme dans un grand stade sans grand public », ajoute Saïd Belahmer. Un peu plus près des étoiles Mais à quoi ressemblera ce futur stade tant attendu, dans une ville où le football est devenu synonyme de hooliganisme ? La société de production coréenne Dreamatto a diffusé en avril dernier sur YouTube une vidéo reprenant des images de synthèse du projet baptisé « Clameur des étoiles ». « On ne connaît pas la source de cette fuite, mais les images diffusées ne correspondent pas aux plans réels du stade », soutient Saïd Belahmer. La maquette, dont TelQuel a pu se procurer une image en avant-première (voir photo), n'a toujours pas été dévoilée au grand public. Quant au budget, il s'élève à 2,04 milliards de dirhams, dont un peu plus de la moitié (1,28 milliard) sera financé en fonds propres de l'Etat. Le conseil de la ville de Casablanca investira pour sa part 200 millions de dirhams et le Fonds Hassan II pour le développement économique et social, 600 millions. Cependant, ce budget devra probablement être revu à la hausse. « L'estimation du coût du projet a été faite sur la base de données qui datent d'il y a quelques années. Il pourrait coûter 4 milliards si on prend en considération le coût des structures annexes au stade », explique Mohamed Ouzzine. Un avis que partage Mehdi Sekkouri, expert en construction et gestion de stades : « Il est quasiment impossible de construire un stade nouvelle génération de cette taille avec 2 milliards de dirhams. En ces temps de crise, nous pourrions nous tourner vers de nouvelles sources de financement, à travers les partenariats public-privé, à l'instar de ce qu'il se fait en Europe. L'Etat pourrait ainsi économiser ce budget en mettant le terrain à disposition à des BTPistes spécialisés qui pourraient construire le stade et le gérer ensuite ». Coup d'envoi en 2014 Pour faciliter l'accès au stade, le schéma directeur de Tit Mellil prévoit des accès via l'autoroute, ainsi qu'une extension de la ligne de tramway de trois kilomètres pour relier Sidi Moumen à Tit Mellil. « J'aurais aimé que ce stade soit construit à Sidi Moumen afin de renforcer l'infrastructure de ce quartier et révolutionner la vie des ses habitants », regrette le maire de Casablanca, Mohamed Sajid. En plus du stade, le projet prévoit la construction d'un grand complexe sportif, composé d'un terrain annexe d'une capacité de 15 000 spectateurs, quatre stades d'entraînement, une piscine olympique, le nouveau siège de la Sonarges, un centre commercial, un hôtel quatre étoiles ainsi que plusieurs salles de conférences. Mais certains experts doutent déjà de la pertinence du modèle de stades construits au Maroc. « Je n'ai pas l'impression qu'on tire les bonnes leçons des échecs enregistrés dans les stades de Marrakech, Tanger et Agadir qui sont largement sous-exploités. A ce jour, aucune étude n'a été lancée pour identifier les réels besoins des futurs utilisateurs du stade de Casablanca, à savoir la Fédération, le Raja, le Wydad, les organisateurs de spectacles, les agences de voyage, etc. Au final, on risque de se retrouver avec un enceinte en total décalage avec la réalité du marché marocain », analyse Mehdi Sekkouri. Le début des travaux est prévu en 2014, mais il faut encore attendre que le projet soit officiellement lancé par le roi pour que les appels d'offres puissent être émis à l'international afin de désigner le groupement d'entreprises qui sera chargé de la construction. Autant dire que « Clameur des étoiles » n'est pas près de tutoyer le firmament…