Boeing et Airbus se livrent une guerre sans merci. Objectif : contrôler le marché marocain. Ahmed Réda Chami, ministre de l'Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies, a déclaré à l'occasion du Salon aéronautique du Bourget 2011 que le Maroc voulait poursuivre le développement de sa filière aéronautique, rappelant que le royaume entend doubler les effectifs du secteur d'ici 2015 pour atteindre 16 000 collaborateurs. Présent au Bourget pour la quatrième année consécutive, le Maroc fait des secteurs aéronautique et spatial un choix d'avenir qui s'est, davantage, précisé dans le cadre de son Pacte national pour l'émergence industrielle qui couvre la période 2009-2015. Le ministre a indiqué qu'«aujourd'hui, on a pratiquement une centaine d'entreprises qui se sont installées au Maroc, principalement françaises, mais aussi espagnoles, allemandes, quelques américaines, qui travaillent dans toute la chaîne de valeur de l'industrie … On veut être une véritable plateforme industrielle pour l'Europe, pour donner plus de compétitivité aux fournisseurs, d'Airbus principalement, mais de Boeing aussi.» Il est à préciser que la flotte actuelle de la RAM est principalement composée d'avions Boeing. Le constructeur américain a longtemps été considéré comme étant le partenaire historique et privilégié de la compagnie nationale. Les déclarations du Ministre montrent donc clairement qu'il y a matière à favoriser le constructeur français lors de ce renouvellement ce qui remet lourdement en question ledit partenariat. M.Chami poursuit : «Ils sont en train de travailler sur un plan au-delà de 2015 et nous avons déjà clairement dit aux gens d'Airbus: les portes sont ouvertes. C'est vraiment un choix stratégique en 2015 de renouveler la flotte.». Cette préférence affichée ne s'arrête pas là puisque la RAM a déjà une co-entreprise avec Snecma (groupe Safran) pour l'entretien du moteur CFM56, et une autre avec Air France KLM dans la maintenance des aéro-structures d'Airbus A320 et de Boeing 737. Le géant américain serait-il en phase d'être complètement remplacé par le français ? Boeing VS Airbus Le duel Boeing/Airbus ne date pas d'aujourd'hui mais de 1972 quand le nouveau constructeur d'avion, dénommé Airbus, fait voler son premier avion : l'Airbus A300. Il s'agit du premier biréacteur à fuselage large à obtenir un certificat de navigabilité. C'est en 1982 que Boeing met en service son premier biréacteur à fuselage large, le B767. La même année, Airbus met en service un avion similaire, l'A310, directement dérivé de l'A300, mais avec un rayon d'action élargi. La famille A300-A310 s'est vendue à 816 exemplaires toutes versions confondues. En 1988, Airbus met en service l'A320, biréacteur moyen courrier, monocouloir (donc à fuselage plus étroit), qui intègre des concepts révolutionnaires pour l'époque. Les avions de cette famille (A318, A319, A320, A321) vont se vendre très largement (4726 exemplaires livrés fin 2010), et ce large succès (à hauteur de la réussite commerciale du Boeing 737) va aider grandement Airbus à rattraper Boeing. Le marché des très gros porteurs, chasse gardée du vénérable Boeing 747, lancé en 1969, est attaqué par Airbus avec la mise en service de l'A380 en 2007 qui permet à cette dernière de gratter sur les parts de marché de Boeing au point de s'imposer comme une référence en la matière. Dominant inexorablement Airbus depuis sa création jusqu'au début des années 1990s, le constructeur américain a perdu sa couronne entre 2001 et 2005 pour la récupérer en 2006. Mais l'année 2007 a marqué le retour incontestable d'Airbus mettant fin une fois pour toutes à l'omniprésence de Boeing aux devants de la scène aéronautique. Le parc d'avions en service construits par Boeing reste le plus imposant, incluant la flotte des McDonnell Douglas (société intégrée à Boeing en 1997), parce que de nombreux Boeing 737 ou MD80 de plus de 30 ans volent encore, alors que les A320 sont apparus il y a 20 ans. Fin 2010, Airbus a construit 6500 avions, dont 6200 sont en service. Le marché principal (monocouloirs A320 et B737) reste pour l'instant partagé entre les deux constructeurs, avec près de 1000 avions construits en 2010. L'épilogue de ce long affrontement se fera attendre puisque les deux compagnies attendent un jugement de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) suite à des accusations lancées de part et d'autre au sujet de subventions reçues, ce qui viole par principe l'accord bilatéral signé en 1992. L'affaire a donc été portée au niveau de l'OMC. Les Américains ont toutefois opté pour un patriotisme économique, réservant leur marché national à leurs propres produits, ce qui n'est pas encore le cas des Européens. Maroc : guerre des tranchées ? Au-delà des logiques économiques et autres stratégies d'expansion, le royaume est incontestablement la seule porte possiblement envisageable à l'Afrique pour les deux compagnies et ce pour plusieurs raisons. Pour donner une vision globale plus concrète, il est indispensable de situer le positionnement des deux compagnies au Maroc. La flotte nationale (RAM et Atlas Blue) se compose actuellement de 22 Boeings B737 (700 à 800 places), 12 Boeings B737 (400 à 500 places), 2 Boeing B757 de 200 places, 3 Boeings B767 de 300 places, 1 Boeing B747 de 400 places et enfin 4 Airbus A321. Pour 2013, une commande de 22 avions, dont 6 B787 Dreamliner, a été passée. La prédominance de Boeing dans la composition de notre flotte nationale est nette. Cependant, le discours de M.Chami traduit clairement un changement au sein de ladite composition puisqu'il évoque une «nouvelle voie stratégique». Nous ignorons, pour l'instant, la substance des accords proposés par les deux compagnies, mais il est certain que celle qui remportera le marché devra proposer bien plus qu'un simple bon de commande à remplir : c'est la compagnie qui présentera le plus d'opportunités de développement avec le plus de strates incluant le Maroc dans le processus d'élaboration. Ainsi, la délocalisation au Maroc de certaines branches industrielles, sera inéluctablement la plus apte à prétendre au marché marocain et, par effet boule de neige, aux marchés africains. David Dufrenois représente Airbus comme vice-président des ventes pour l'Afrique du Nord-Est et l'Afrique de l'Ouest. Il pense fermement que «le marché marocain représente un tremplin vers l'Afrique». Et qu'«à l'échelle mondiale, il est vrai que le marché marocain est relativement faible, mais à l'échelle africaine, il est très important. Il faut savoir qu'à l'exception de l'Egypte, le Maroc possède la seconde flotte aérienne africaine, après l'Afrique du Sud. Autrement dit, un opérateur qui veut percer en Afrique doit passer par le Maroc». Ce qui est totalement vrai. Par contre, le Maroc est l'objet de convoitises des deux compagnies pour d'autres raisons, au-delà des transactions usuelles, les accords de libre-échange entre le royaume et nombre de pays africains ainsi que les Etats Unis (depuis 2009) et l'Union européenne (effectif dès 2012), lui procurent le titre d'incontournable pour les deux géants aériens qui souhaitaient en bénéficier en vue d'attaquer le reste des marchés du continent. Le changement de partenaire prédominant est donc un choix mûrement réfléchi qui traduit une volonté de développement aux côtés de l'Europe. Mehdi Mouttalib