Cash et spontané, le ministre de la Jeunesse et des Sports n'en est pas moins victime de sa … décontraction verbale. «Mais comment fait-il pour se fourrer dans des pétrins pareils ?» s'interroge un geek abonné au flux de Moncef Belkhayat sur Twitter . Le ministre numérisé à bloc, utilise Twitter et Facebook pour converser avec sa communauté de façon régulière. Au début, la démarche d'ouverture numérique entreprise par M. Belkhayat en fait un ministre plutôt sympathique, plutôt apprécié. Tranchant avec le stéréotype ministériel naphtaliné, il réussit à fédérer une communauté de fans acquis à son accessibilité sur la toile et à un franc-parler désarmant. Hélas, il vient un temps où les réseaux sociaux se transforment en véritable cauchemar. La conjugaison d'opinions, de critiques, de commentaires qu'offre le Web social induit souvent des dérives. C'est une réalité qui semble avoir rattrapé le ministre de la Jeunesse et des sports. L'histoire commence début février : le monde arabe est aux prises avec la révolte des peuples et au Maroc, les ondes provenant de l'épicentre tunisien et égyptien, commencent à causer des secousses. On parle de programmer une grande manifestation le 20 du même mois. La bourde de trop Premier couac de M. Belkhayat : croyant que la jeunesse rebelle allait se prévaloir de revendications antipatriotiques, il publie l'appréciation de trop sur sa page Facebook. Ainsi va-t-il céder à une grotesque intox en comparant les jeunes à une organisation séparatiste proche du Polisario. Oups ! La sortie fait tâche. D'autant qu'à l'issue de la marche, tout le monde, l'establishment y compris, s'accorde sur le bien fondé des doléances exprimées par les 20 fébréristes. Les internautes se déchaînent, M. Belkhayat accuse le coup. Il devient le symbole vivant d'une «Baltajya» assumée. Très vite, sa décontraction et son parler-vrai deviennent ses pires boulets. Nous sommes à l'ENCG de Casablanca (Ecole Nationale de Commerce et de Gestion), le ministre « RNIste» participe à une conférence anodine organisée par MediaUS. On y parle de la prépondérance d'Internet comme instrument de communication mondialisée. Débat classique pour ne pas dire éculé. Le micro circule, les intervenants se suivent et la salle semble engourdie par la platitude des échanges. Vient le tour de M. Belkhayat. Le micro à peine en main, il évoque un souvenir de famille pour amorcer son propos. «Mon petit frère, qui a 28 ans aujourd'hui, piratait des cartes bancaires à l'âge de 14 ans». Dans la salle, un froid est jeté. « Je twittais ce qu'il disait en même temps qu'il le disait », confie un ENCGiste de première année présent à la conférence. Les éclairs de spontanéité du ministre se propagent comme un feu de forêt. Le Web national entre en ébullition. Le ministre vient-il de dénoncer les agissements criminels de son frère ? Assurément, pense-t-on, cela ne peut être le cas. Et pourtant. Le buzz est gigantesque. En moins de temps qu'il n'en faut pour connecter une clé 3G, des bloggeurs investigateurs retrouvent la trace du frère anciennement « cybercriminel ». Il s'agit de Ismael Belkhayat Zougari, un super-diplômé de l'ESCP-EAP puis de Cornell, une fac new-yorkaise des plus élitistes. «Lorsqu'on creuse, on tombe sur des morceaux de choix», explique un twitterien Belkhayato-sceptique. C'est ainsi qu'à force de piocher, les geeks déterrent une perle en ces temps de frondes antisystèmes. Ismael Belkhayat serait le membre actif d'un pôle de compétitivité technologique drivé par un autre ministre, de l'Industrie celui-là : Ahmed Réda Chami en l'occurrence. Connivence, clientélisme, népotisme, les recoupements fusent sur la toile. D'autant que le président de Maroc Numéric Cluster n'est autre que Mehdi Kettani dont l'affaire se profile tranquillement à l'horizon. E-bull-ition Le mercredi 2 mars au siège du MDJS (ministère de la Jeunesse et des sports), trois personnages prennent place sur une estrade. Le moment est crucial. Le ministère s'apprête à se doter d'un prologiciel de gestion intégrée rendant possible la supervision à distance des centres affiliés. Moncef Belkhayat, Phillipe Vannier, PDG de Bull et Mehdi Kettani, DG de Bull Maroc signent une convention de partenariat de 4 ans consacrant la fourniture et l'intégration du CRM (Customer Relationship Management) et de l'ERP ( Entreprises Ressources Planning). Sur le coup, on applaudit la transaction. Toutefois, l'état de grâce est rompu par la publication d'une lettre polémique. De fait, le site Mamfakinch.com, le porte-voix anonyme du mouvement du 20 février, adresse une missive explosive au ministre où il est fait état de 19 anomalies relatives à l'obtention du marché d'informatisation par Bull. Pot pourri : M. Belkhayat aurait un lien de parenté indirect avec Mehdi Kettani, DG de Bull. L'avis de présélection et l'avis d'attribution du marché n'ont été publiés sur le portail des marchés publics que deux mois après la signature du partenariat. Ainsi, bien que la date limite de soumission des offres ait été fixée au 9 février, Bull et le MDJS ont signé le contrat d'attribution le 2 février, soit sept jours avant la date butoir…La lettre fait l'effet d'une bombe. M. Belkhayat riposte, niant sa supposée parenté avec M. Kettani et démontrant que la sélection de Bull a bel et bien répondu aux normes en vigueur. La réaction du ministre n'éteint pas l'incendie. D'autant qu'une autre polémique s'immisce à son tour dans le débat : il s'agit cette fois d'un cas de conscience morale. M. Belkhayat, en businessman qui s'assume, profite de la libéralisation de l'industrie du tabac pour s'improviser distributeur de cigarettes pour le compte de BAT (British American Tobacco) via Communivers, une société dont la famille du ministre détient, selon le portail Mamfakinch.com, la majorité du capital. Derechef, la cybercommunauté l'épingle. «Comment peut-on à la fois défendre les valeurs d'un corps sain dans un esprit sain, et dans la foulée faire du négoce de tabac ?» s'interroge un Facbeooker scandalisé par le grand écart éthique. De nouveau, le ministre devient un trending topic, et encore une fois, on le somme de s'expliquer. Il le fera en des termes que d'aucuns jugeront très peu convaincants. «Le conseil d'administration, arguera-t-il, a signé un contrat de prestations logistiques comprenant seulement le stockage et le transport», ajoutant que, « le groupe ne vend ni ne commercialise le tabac car c'est BAT qui facturera directement ses clients». Typique. Arme à double tranchant Entre le ministre et la jeunesse numérisée, un schéma immuable s'installe. Naissance d'une rumeur, déclenchement d'une polémique, florilège de commentaires acerbes sur le Web social, réponse du ministre, durcissement des propos et pour finir, recours éhonté à l'insulte. Le dispositif est coulé dans le marbre. C'est ainsi qu'éclate le mini-buzz Jankari. Rachid Jankari, journaliste IT réputé, y va de sa petite enquête autour de l'affaire Bull et s'en ouvre sur sa page Facebook personnelle. L'initiative n'est guère au goût de M. Belkhayat. Ce dernier affuble le journaliste du surnom suivant : « Janka Janka le menteur. » Jankari s'en offusque et, revanchard, adresse une lettre à Ahmed Réda Chami, le mettant en garde : « les rebondissements de cette affaire (Bull) vont se répercuter négativement et certainement sur votre initiative liée à Maroc Numéric Cluster et aussi sur votre stratégie egov.ma et Maroc Numéric. Depuis, le duel Jankari/Belkhayat est monté en épingle par la Blogoma qui s'amuse (ou)vertement des dérapages linguistiques de l'homme d'Etat. Il ne se passe donc plus un jour sans que Moncef Belkhayat, auparavant étiqueté ministre brillantissime et attentif aux attentes des jeunes, ne se décrédibilise vis-à-vis de cette même catégorie. Une spécialiste de la gestion d'image sur les sites communautaires (Community manager) impute la déconfiture de la Brand Belkhayat à « une trop grande disponibilité, un dialogue trop soutenu avec la tribu ( terme désignant l'ensemble des contacts numériques d'un personnage public)». «Internet, explique-t-elle, est une arme à double tranchant, le mieux est le camarade du pire. A partir du moment où le ministre s'est permis un certain nombre de familiarités avec des inconnus, il a ouvert la voie à un dialogue ordurier, fait de voyeurisme et de médisance. Ce qu'il endure aujourd'hui n'en que la résultante logique». Le lourd tribut payé par M. Belkhayat amorcera-t-il l'extinction d'une espèce si jeune mais si houspillé: les ministres connectés ? Qui cliquera saura ou plutôt...sautera ! Reda Dalil