Le régime libyen semblait fragilisé lundi avec la démission du ministre de la Justice et de plusieurs diplomates en poste à l'étranger, tandis que la contestation jusque-là cantonnée à l'est gagnait Tripoli. Malgré la répression sanglante du mouvement, une nouvelle manifestation était prévue lundi soir dans la capitale pour exiger le départ du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969. Le bras de fer entre les manifestants et les autorités se poursuit aussi au Bahreïn, au Yémen et Algérie, alors qu'au Maroc, cinq cadavres calcinés ont été retrouvés dimanche dans une agence bancaire incendiée par des manifestants à Al Hoceima, dans le nord-est du pays. Lundi, des rumeurs de départ de Moammar Kadhafi ont circulé, mais le ministre vénézuélien de l'Information Andrés Izarra a démenti que le numéro un libyen soit en route pour le Venezuela. Le fils du colonel Kadhafi, Saïf al-Islam, a pour sa part assuré dimanche soir que son père avait le soutien de l'armée et se battrait "jusqu'au dernier homme, la dernière femme, la dernière balle". La télévision d'Etat a annoncé lundi soir que l'armée avait "pris d'assaut les repaires des saboteurs" et a appelé la population à soutenir les forces de sécurité. Alors qu'une nouvelle manifestation était prévue dans le centre de la capitale de deux millions d'habitants et devant la résidence du colonel Kadhafi, des avions militaires survolaient Tripoli à basse altitude lundi soir et des tireurs étaient postés sur les toits à la sortie de la ville, probablement pour empêcher des manifestants d'entrer, a estimé Mohammed Abdul-Malek, un activiste de l'opposition basé à Londres mais en contact avec des habitants. Selon des témoins, opposants et forces de sécurité se sont battus jusqu'à l'aube lundi dans le centre de Tripoli (nord-ouest), sur la place Verte et aux alentours. Des tireurs embusqués ont tiré depuis les toits sur les manifestants qui investissaient la place Verte. Des miliciens à bord de véhicules circulant à grande vitesse tiraient sur la foule au passage ou renversaient des manifestants. Les témoins ont déclaré avoir vu des victimes, sans pouvoir fournir de bilan précis. Tôt lundi matin, des manifestants se sont emparés de locaux de la télévision publique. Au lever du jour, de la fumée s'élevait d'endroits correspondant à un poste de police et une base des forces de sécurité, a observé une avocate depuis le toit de sa maison. Les rues de Tripoli étaient désertes et écoles, administrations et magasins étaient fermés, à l'exception de quelques boulangeries, selon des témoins. Le Palais du Peuple, l'équivalent du Parlement où se tiennent plusieurs sessions par an, a été incendié, d'après le site Web d'information pro-gouvernemental Qureyna. A Benghazi, deuxième ville du pays, dans le nord-est, les opposants contrôlaient les rues lundi, après plusieurs jours d'affrontements sanglants avec les forces du régime. Selon des habitants, la foule a envahi le quartier général des forces de sécurité et s'est emparée d'armes. Un témoin a affirmé que le drapeau libyen qui flottait au-dessus du palais de justice de la ville avait été remplacé par celui de la monarchie renversée en 1969 lors du coup d'Etat militaire qui a amené le colonel Kadhafi au pouvoir. Un médecin d'un hôpital de Benghazi a déclaré que 60 personnes avaient été tuées dimanche et au moins 200 ces derniers jours, mais il reste difficile d'obtenir des bilans précis, les journalistes ne pouvant travailler librement dans le pays étroitement contrôlé par le régime. L'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch, basée à New York, faisait quant à elle état d'au moins 233 morts. Cette sanglante répression aurait entraîné la démission du ministre de la Justice Mustafa Abdel-Jalil qui, selon le site Qureyna, a dénoncé "l'usage excessif de la force contre des manifestants désarmés". Les ambassadeurs de la Libye aux Nations unies se sont également désolidarisés du régime en appelant le colonel Kadhafi à démissionner. Au Caire, l'ex-ambassadeur de Libye auprès de la Ligue arabe, Abdel-Moneim al-Houni, qui a démissionné dimanche, a publié lundi un communiqué exigeant que Moammar Kadhafi et ses conseillers civils et militaires soient jugés pour "les meurtres de masse en Libye". En Chine, le diplomate Hussein el-Sadek el-Mesrati a déclaré à la chaîne de télévision panarabe Al-Jazira qu'il démissionnait pour cesser de "représenter le gouvernement de Mussolini et d'Hitler". Saïf al-Islam a pour sa part assuré que le bilan de la répression était exagéré et parlé de 84 morts. C'était la première fois que le clan Kadhafi réagissait publiquement aux troubles. "Nous ne sommes pas en Tunisie ni en Egypte", a lancé le fils de Kadhafi à la télévision nationale, faisant allusion aux soulèvements qui ont fait partir les présidents Zine el Abidine ben Ali le 14 janvier et Hosni Moubarak le 11 février. Le colonel Kadhafi reste "notre leader", a souligné son fils, ajoutant toutefois que le régime était prêt à des réformes ainsi qu'une "initiative nationale historique". Il a agité le spectre de la guerre civile et affirmé que l'armée "éliminerait les poches de sédition". Des pays européens ont envoyé des avions et ferries en Libye lundi pour évacuer leurs citoyens, et certaines entreprises internationales, gazières et pétrolières, ont retiré leur personnel étranger et suspendu leurs opérations. Les cours du pétrole ont flambé lundi, le baril de brut franchissant la barre des 105 dollars à Londres pour la première fois depuis deux ans et demi. (AP)