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La face cachée d'Eric Gerets
Publié dans Le temps le 28 - 09 - 2010

Attendu comme le messie, Gerets est loin d'être un saint. Il aime les billets verts et ne le cache pas. Est-ce la bonne pioche ?
«Eric Gerets est-il le seul coach dans ce monde ? Il y a de nombreux entraîneurs, des Brésiliens, des Français… de qualité et d'expérience !?» Hammadi Hamiddouch, ancien entraîneur de l'équipe nationale, est l'auteur de cette phrase pamphlétaire. Et il n'est pas le seul à le penser. Après la piètre prestation du Onze national face au Centrafrique (0-0) lors du premier match comptant pour les éliminatoires de la CAN-2012, les langues se sont déliées.
D'ailleurs, meilleur baromètre, la vox populi a fait connaître son ire et mécontentement face à la «situation ubuesque» des Lions de l'Atlas. Au coup de sifflet final du match Maroc-Centrafrique, samedi 4 septembre au Complexe Moulay Abdallah à Rabat, Moncef Belkhayat et Ali Fassi Fihri, respectivement ministre de la Jeunesse et des Sports et président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), ne pouvaient faire autrement qu'esquiver les projectiles (des bouteilles d'eau vides) lancés par des supporters en colère. Les deux patrons du sport et du foot nationaux quittèrent le stade la tête basse. Quelques jours plus tard, Belkhayat, au cours d'une conférence de presse tenue à Rabat pour dresser le bilan des colonies de vacances, confia au Temps : «En quatre années seulement, l'équipe nationale a été dirigée par sept entraîneurs. Comment peut-on espérer avoir de bons résultats avec une telle situation ? (…) Nous aussi, en tant que dirigeants, nous ne sommes pas satisfaits des résultats jusque-là obtenus par les Lions de l'Atlas». On en déduit alors que les maux du team national se résument à l'instabilité de ses coachs.
Ethique et fric
Après le remerciement du Français Roger Lemerre en juillet 2009, le nom de Baddou Zaki, ancien capitane et entraîneur de l'équipe nationale qu'il a conduite à la finale de la CAN-2004 (perdue face à la Tunisie 1-2), revenait dans la bouche de plusieurs responsables ainsi que de l'opinion publique. Lui-même, parti «dégoûté» par les pratiques peu orthodoxes de certains responsables fédéraux, avait, à maintes reprises, manifesté son désir de renouer avec l'équipe nationale. «Zaki est certes très apprécié en haut lieu, mais ses détracteurs sont très puissants pour lui barrer la route», nous dit un analyste du football national. Zaki écarté, la piste Eric Gerets est ouverte. Le choix est cautionné par Noureddine Naybet, ancien capitaine des Lions de l'Atlas, qui ne porte pas Zaki dans son cœur. Selon des sources proches de la Fédé, Naybet qui occupe le poste de conseiller à la FRMF, est très écouté et fort apprécié. Il aurait suggéré de «faire vite» pour s'attacher les services de Gerets dans l'espoir d'écarter Zaki. Chose faite. Zaki est jeté dans les oubliettes et Gerets courtisé comme personne ne l'a été avant lui. Les négociations débutent. L'entraîneur belge est sous contrat avec le club saoudien d'Al Hilal dont les responsables entretiennent des relations très amicales avec leurs homologues marocains. «Dans le cas contraire, estime un observateur, ils s'en seraient pris aux Marocains et les auraient dénoncés auprès de la FIFA. Car il est contraire aux valeurs du sport de négocier avec un entraîneur toujours sous contrat et qui plus est a des objectifs à atteindre.» Eric Gerets le savait-il ? A coup sûr oui puisque l'homme aujourd'hui âgé de 56, ans et qui a débuté sa carrière en tant que joueur professionnel à l'âge de 17 ans, est rompu aux joutes du milieu footballistique –comme en témoigne son bras de fer avec Pape Diouf, l'ancien président de l'Olympique de Marseille. Eric Gerets fut recruté par Pape Dioup. Il accomplit un travail presque miraculeux avec l'OM : l'équipe occupait la 13è place à la 19è journée du championnat français. Elle termine 3è et est qualifiée pour la prestigieuse et très lucrative Ligue des champions. Gerets, acclamé par le public marseillais, devient gourmand. Son salaire avait déjà été augmenté de 14% en milieu de saison. Avec 180 000 euros mensuels, il était l'entraîneur le mieux rémunéré en Ligue 1, soit plus que Laurent Blanc, qui a conduit Bordeaux au titre de champion de France (140 000).
L'odeur de l'argent
Très fûté, le président, journaliste sportif de formation, ne cède pas au chantage. Surtout que Robert Louis-Dreyfus, actionnaire majoritaire du club et grand mécène, n'est plus de ce monde. Et surtout que Dioup, jouissant d'une grande popularité et connu pour être une tête brûlée, n'aime pas qu'on lui force la main. La presse regrettera par la suite qu'«on ait laissé filer Gerets» mais s'en prendra à ce dernier pour sa «gourmandise» et son «chantage». D'autant que Al Hilal était sur la ligne de mire avec une proposition de 250 000 euros par mois.
Gerets succombe à l'offre d'Al Hilal et quitte Marseille. «J'ai dit que l'aspect financier dans ma profession a une grande importance, je n'ai jamais dit que ce n'était pas important» a-t-il reconnu dans un chat en direct le 27 mai 2009 dans La Provence.com. Les responsables d'Al Hilal accueille Gerets à bras ouverts mais il ne tardera pas à leur fausser compagnie. Cette fois-ci, c'est son épouse, d'origine allemande, qui est derrière son choix. Courtisé par Bordeaux et des clubs allemands, il opte finalement pour le Maroc. Des contacts ont lieu entre responsables marocains et ceux d'Al-Ahly pour faciliter le départ de Gerets vers le Maroc. Les Saoudiens font montre de compréhension, voire de compassion étant donné l'impasse dans lequel se trouve le football marocain. Gerets signe pour le Maroc. Son salaire suscite une grande polémique. Avec 3 000 000 euros par an, il est le deuxième entraîneur le mieux payé au monde après Fabio Capello (Angleterre, 6 713 000), devançant Marcelo Lippi (Italie, 2 780 000 ), Javier Aguirre (Mexique, 2.713.000) et Joachim Löw (Allemagne, 2 300 000).
Interpellé au Parlement sur le salaire du nouveau sélectionneur national, Moncef Belkhayat répond : «C'est complètement faux», sans donner de détails.
Gerets devra débarquer au Maroc en novembre prochain. Sa femme aurait déjà acquis une villa à Agadir. En attendant, les Lions de l'Atlas continuent de patauger comme en témoigne leur sortie face au Centrafrique pourtant 202è et avant dernier au classement FIFA. Pour leur prochain match contre la Tanzanie, le 9 octobre prochain, Chamakh and Co évolueront encore sans entraîneur avec sur le banc de touche Dominique Cuperly, éternel assistant. «Cuperly manque vraisemblablement d'autorité» juge de nombreux observateurs. Et le vestiaire n'est pas en bonne santé. Le geste de Mounir El Hamdaoui refusant de le saluer après son remplacement à la 64è min et le différent entre ce même joueur et Chamak n'augurent rien de bon pour la suite du parcours du team national.
Une première mondiale
Public et observateurs se plaisent à répéter une boutade selon laquelle jamais dans l'histoire du football mondial une équipe nationale n'a été dirigée de très loin par téléphone. «Eric Gerets mérite d'entrer dans le Guinness Book pour avoir introduit de nouvelles techniques dans la gestion des affaires du Onze national» estime un entraîneur marocain. En effet, Gerets visionne les cassettes d'entraînement et livre ses recommandations par téléphone !
Drôle de situation, selon Hammadi Hamiddouch. Mais Gerets n'en est pas à son premier exploit. N'est-il pas en effet l'auteur du premier grand scandale dans l'histoire du football belge ? Les faits remontent à avril 1982. Le Standard de Liège où il évoluait et dont il était le capitaine, avait besoin d'un point pour être sacré champion. Il devait rencontrer quelques jours plus tard l'AC Milan pour une finale européenne.
Plus tard, Gerets était intervenu auprès d'un joueur adverse pour lever les pieds en contrepartie de 420 000 francs belges (10 400 euros). Le Standard de Liège gagne 3-1 mais l'affaire éclate au grand jour. Les révélations de deux joueurs incriminés ont conduit le juge Belmans à porter l'affaire devant la justice. Jugé en février 2003, Eric Gerets écope d'une suspension de 3 ans qui sera réduite en appel à deux ans. Suite à cette affaire, Gerets quitte la Belgique pour l'AC Milan où il évolue au sein du Milan AC. S'ensuit un parcours aussi riche que remarquable.
Avec l'équipe nationale belge, il joue trois Coupes du monde (1982, 86 et 90). Avec 86 sélections au compteur, il est le deuxième joueur le plus capé de l'histoire du football belge après l'excellent Jan Ceulemans. Gerets était surnommé le Lion de Rekem. Un lion appelé aujourd'hui à dompter des Lions de l'Atlas plus que jamais mal en point. Un pari risqué d'autant que Gerets n'a jamais entraîné d'équipe nationale et connaît peu le football africain. L'Histoire dira si ses recruteurs ont fait le bon choix.
Abdelkader El-Aine


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