La course effrénée à l'armement, qui oppose Rabat à Alger, fait exploser le budget défense du Maroc. Faisons les comptes… «L'intelligence avec l'ennemi relève de la haute trahison». Cette allusion directe aux Sahraouis pro-Polisario, accusés d'irrédentisme par le roi Mohammed VI lui-même, lors de son discours prononcé à l'occasion du 34ème anniversaire de la Marche verte, ne laisse aucun doute sur l'extrême fermeté du Pouvoir sur les questions de sécurité nationale. «Il n'y a plus de place pour l'ambigüité et la duplicité : ou le citoyen est marocain, ou il ne l'est pas, a-t-il souligné. Fini le temps du double jeu et de la dérobade. L'heure est à la clarté et au devoir assumé. Ou on est patriote ou on est traître. Il n'y a pas de juste milieu entre le patriotisme et la trahison». Et comme pour joindre l'acte à la parole, le régime a maintenu dans le cadre de la Loi de finances 2010, adoptée la semaine passée par le Parlement, son effort colossal dans son réarmement. Dernière transaction en date, l'achat par le Maroc du dernier né des systèmes de guerre électronique intégrée, produit par la société Raytheon pour équiper les futurs avions F-16 des Forces Royales Air dans un contrat global stratosphérique de 24 milliards de DH. En 2009, le royaume avait consacré une enveloppe de 34,5 milliards de dirhams consacré à la Défense, soit environ 15% du budget de l'Etat. Une première, sous la coupole de l'hémicycle qui comme chaque année procède à un vote rapide et à l'unanimité pour ce poste budgétaire dont les contours effectifs relèvent du secret défense, même pour les élus de la Nation. La Commission Défense du Parlement présidée par le PAM demeure, elle aussi, très peu loquace sur la question. C'est que, depuis son accession au trône en 1999, le roi Mohammed VI a voulu ouvrir les robinets pour son armée : son budget a été doublé pour les deux dernières Lois de Finances, celles de 2008 et 2009. Il y a encore quatre ans, ce budget ne dépassait guère les 12 milliards de dirhams… 32 milliards pour la grande muette Pour le budget 2010, cette enveloppe avoisine les 32 milliards de dirhams soit 4,24 milliards de dollars à peu près dont 1,36 milliards pour la seule acquisition et la réparation. Le seul fonds d'acquisition et de maintenance de l'arsenal militaire chérifien est crédité cette année de la coquette somme de 10,2 milliards de dirhams, soit à près deux fois le budget de fonctionnement de la santé publique et plus de 8 fois celui de ses investissement. Si l'on rapporte le poste global dédié aux armées (26 milliards de dirhams de ponction supplémentaire au budget de l'Etat) à la santé, le gap se transforme en véritable rift. Depuis des années, les besoins militaires du Maroc absorbent 5% de son PIB, ce qui lui vaut de figurer au top 20 des pays les plus dépensiers pour leurs armées. Aussi, si l'on tient compte de la croissance du PIB, le Maroc dépense 100 millions de dirhams par jour pour sa défense. Depuis 2004, les dépenses militaires ne cessent d'augmenter. La course à l'armement imposée par des raisons d'équilibre géostratégique avec Alger pousse à toujours plus de décaissements imposants. De grosses commandes d'armement ont été passées ces deux dernières années : modernisation de la chasse aérienne avec l'acquisition de deux escadrilles de F-16 pour plus 24 milliards de dirhams, l'achat d'une frégate française FREMM pour 5 milliards de dirhams, en plus de trois corvettes néerlandaises, la construction d'une nouvelle base navale pour 1,4 milliard de dirhams, et un chapelet de contrats pour l'armée de terre. Sans le conflit du Sahara, et le nécessaire équilibre régional avec l'Algérie, mais aussi avec certains pays d'Europe du Sud, avec qui Rabat entretient des liens de coopération militaire au sein de l'Alliance Atlantique, le Maroc aurait été dans la moyenne du classement mondial des dépenses en armement. Il dépenserait annuellement pour ses forces armées moins de 2% de son PIB et économiserait ainsi près de 20 milliards de dirhams pour son soutien aux secteurs sociaux. Les dépenses de mise à niveau engagées sur instructions de Mohammed VI qui a hérité d'une armée aux équipements désuets ne sont pas les seules à grever le budget de l'Etat de cette année. A l'instar des agents de la fonction publique, il sera précédé, à partir du 1er janvier 2010, au versement de la 3ème et dernière tranche de l'augmentation décidée au profit des agents militaires en activité, ainsi qu'au versement de la 3ème et dernière tranche de l'indemnité complémentaire au profit des anciens résistants, pour que la pension servie aux bénéficiaires mensuellement atteigne le minima de 1.500 DH. Par ailleurs, dans le cadre du programme de 80.000 logements, 33.000 unités sont en cours de réalisation, dont 16.500 pour le logement de fonction et le reste pour la propriété, dans le cadre de l'achèvement des programmes de renforcement des infrastructures des casernes et au redéploiement de certaines d'entre elles en dehors du périmètre urbain, pour en faire des espaces complémentaires et disposant de tous les équipements socio sportifs nécessaires. Des enveloppes conséquentes ont aussi été débloquées dans le domaine de la formation militaire et opérationnelle. La loi de finances 2010 a aussi été dispendieuse en charges nées d'emplois crées : 1000 nouveaux postes sont ouverts aux candidatures nouvelles. Vive compétition avec Alger Si le Maroc s'arme, l'Algérie aussi. Les données du dernier rapport 2009 de l'Institut international de recherche pour la paix (SIPRI), basé à Stockholm, mettent en évidence cette course effrénée à l'armement à laquelle se livrent les deux pays voisins. Cet institut d'études stratégiques, qui fournit les statistiques annuelles sur les dépenses militaires et le marché de l'armement dans le monde, classe l'Algérie au troisième rang des pays arabes en terme d'effort d'armement, juste derrière le Qatar et l'Arabe Saoudite. Elle consacre en moyenne 3% de son PIB par an aux dépenses militaires, ce qui représente environ 4,5 milliards de dollars. Dans le même classement, le Maroc se trouve à la cinquième place, avec plus de 1,7 milliard de dollars de dépenses militaires en moyenne depuis cinq ans avec un rapport similaire de ponction sur le PIB avec un pic à 4,6% du PIB en 2003, plaçant le royaume en pôle position des pays à économie comparable qui consacre le plus de richesses à sa défense. Selon des estimations publiées par la CIA, sur son site internet (CIA facts book), c'est le Maroc qui consacre en termes relatifs le plus d'argent à l'armement (5% de son PIB en 2003). Il est suivi par la Libye (3,9% du PIB en 2005), l'Algérie (3,3% du PIB en 2006) et la Tunisie (1,4% du PIB en ). Les dépenses militaires algériennes et marocaines connaissent ainsi chaque année une forte progression, le conflit sahraoui est à l'origine de cette rivalité, le Maroc, considérant officiellement l'Algérie comme partie prenante de ce contentieux territorial vieux de trois décennies. Le budget consacré par les deux pays à la défense en 2010 illustre, on ne peut plus clairement, cette frénétique course. La conclusion par l'Algérie d'un contrat d'acquisition d'une soixantaine d'avions de combat avec la Russie en 2006 avait immédiatement suscité une réaction de Rabat qui s'est empressé de moderniser sa flottille de Mirage F-1 vétustes et de conclure le mirifique contrat des F-16 avec Lockheed Martin avec la bénédiction de Washington. Le budget militaire algérien pour l'année 2009 s'élevait à de 6,25 milliards de dollars. Soit une augmentation d'environ 10% par rapport à 2008. Des sommes colossales sont ainsi allouées par ces deux pays au secteur militaire qui occupe la première place en termes de budgétisation. La tendance est certes mondiale. Une tendance mondiale Les dépenses militaires mondiales ont en effet augmenté de 45% en dix ans. Mais «la compétition engagée entre l'Algérie et le Maroc en termes d'acquisition d'équipements militaires des plus lourds fait couler beaucoup d'encre et inquiète aussi bien les Américains que les autres pays du bassin méditerranéen» rappelle un rapport d'analyse des Nations Unis cité par le SIPRI. Les Etats-Unis et l'Union européenne ont exprimé ouvertement leur inquiétude quant à la tendance haussière des dépenses de ces deux pays. Des dépenses qui font pourtant le bonheur des marchands d'armes américains européens et russes. Même l'assurance donnée par l'Algérie que ses dernières commandes entrent dans le cadre d'un plan de modernisation des équipement de son armée, qui datent de l'époque de l'Union soviétique, n'a pas atténué les craintes des Occidentaux, soucieux surtout de la sécurité de leur allié traditionnel dans la région, à savoir le Maroc. Les Etats-Unis considèrent ce plan de modernisation de l'armée algérienne comme «un plan dissuasif» face à la montée en puissance de son voisin de l'Ouest. Des sources diplomatiques cités par la presse algérienne affirment que la Maison-Blanche porte un intérêt particulier à cette question depuis la publication du dernier rapport du SIPRI. Ces sources font état que les Etats-Unis qui œuvrent pour le renforcement de l'armement au Maroc eu égard aux marchés annoncés durant 2009, ont interpellé l'Algérie sur les «mobiles de la course», précisément à propos de l'acquisition par l'Algérie de 180 chars et de 18 avions de combat sophistiqués de fabrication russe. Par ailleurs, des informations font état de l'approvisionnement imminent de l'Algérie, par des usines russes, de sous-marins, et d'appareils de défense aérienne, et peut être bientôt de frégates maritimes ultramodernes, de marque française. Alger avait répondu qu'il s'agit «de moderniser l'armée algérienne et de remplacer l'arsenal soviétique par un autre plus développé». Le débat autour de l'armement entre l'Algérie et le Maroc n'est pas nouveau. Certains experts avancent que le fait que les Etats-Unis et l'Europe s'emparent de ce dossier ne constitue qu'un moyen de pression pour obtenir des marchés d'armement auprès d'une Algérie gavée par ses revenus pétroliers. D'autant qu'Alger importe principalement de la Russie, et depuis peu de la Chine Populaire, de l'Afrique du Sud et de certains pays sud-américains, dont le Brésil. Achraf Semmah