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La course contre la montre
Publié dans La Gazette du Maroc le 19 - 07 - 2004

Influence de la France et des Etats-unis en Afrique du Nord
Malgré les assurances présentées par les Français et les Américains déniant toute compétition entre eux en Afrique du Nord, la réalité démontre tout le contraire. En effet, depuis presque une année, la France déploie d'énormes efforts pour reprendre le rôle qui était le sien au Maghreb, notamment en reliftant sa stratégie pour qu'elle s'adapte, d'une part, aux nouvelles réalités de ses ex-colonies et d'autre part pour contrecarrer l'intrusion américaine dans la région qui s'effectue à un rythme infernal.
Les visites successives en Algérie de Michel Barnier, le ministre français des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, la ministre de la défense et Nicholas Sarkozy, le ministre de l'économie et des Finances démontrent le forcing qu'effectue la France au Maghreb. Cependant, l'arrivée dans ce pays de Elena Romanovski, la déléguée américaine chargée de l'initiative du Moyen-Orient a non seulement brouillé les notes du ballet français, mais a également démontré à tout le monde que l'Amérique n'est pas prête à céder le terrain. C'est en tout cas la confirmation de la stratégie adoptée par Colin Powell à la veille de l'organisation de la conférence euro-méditérranéenne 5+5 qui s'est tenue à Tunis au début du mois de décembre 2003. Dans ce cadre, les visites et les contre-visites dessinent d'une manière on ne peut plus irréfutable la tendance vers une compétition effrénée dans la région dans un futur très proche. Mais l'élément nouveau de ce dossier se constitue par la nouvelle approche française qui a adopté la logique du partenariat multiple à l'instar de la stratégie américaine adoptée lors de la mise en œuvre du plan Eizenstat du temps de l'ancien Président Bill Clinton et qui a été renforcée par l'administration de Bush qui tend vers le partenariat bilatéral. Cette course impose l'interrogation sur la capacité de la France de jouer les deux cartes bilatérale et multilatérale.
Le retour vers les accords de défense
La France de Jacques Chirac essaie de remonter du terrain pour rattraper le peloton américain qui a parcouru des distances significatives en Afrique du Nord. Ceci lui impose de réviser complètement sa politique vis-à-vis des pays du Maghreb notamment en mettant en place différentes formules de coopération économique et politique visant à instaurer des partenariats privilégiés de la même manière que cela a été exposé dernièrement par Michel Barnier à Alger. Les informations recueillies auprès de l'entourage du ministre français des Affaires étrangères indiquent que la coopération militaire constitue une partie indissociable de toute la stratégie de développement des relations entre les deux pays. Ceci d'autant plus que la ministre de la défense Michèle Eliot Marie a pris le relais dans une première visite de ce genre en Algérie. D'ailleurs, Jacques Chirac avait, à maintes reprises, formulé à son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika, la volonté de la France de signer avec Alger un accord de défense aussi large que possible. Des sources proches de l'Elysée indiquent que cette volonté exprime un profond changement d'attitude de la France à l'égard de l'Algérie. Ainsi, l'accord de défense, selon la vision de Jacques Chirac implique que son gouvernement est prêt à accorder des facilités pour l'acquisition par Alger de matériel militaire par les canaux traditionnels sans passer notamment par la commission de la défense de l'Assemblée nationale. Il faut, à ce sujet, rappeler que depuis le début des années quatre-vingt-dix, l'Assemblée nationale avait interdit la conclusion de tout accord militaire avec l'Algérie. Donc, si Chirac veut dépasser cet obstacle, cela veut dire que le veto de l'Assemblée n'est plus accepté non seulement économiquement, mais signifie que l'Algérie ne fait plus partie, selon lui, des pays qui ne peuvent recevoir que de l'armement défensif à l'instar des autres pays maghrébins. Selon les milieux proches du Président français, l'Algérie qui est membre du " dialogue méditérranéen " issu de l'OTAN ne peut être soustrait à l'assistance militaire occidentale d'autant plus qu'elle est engagée dans une lutte implacable contre le terrorisme.
La France considère, aujourd'hui, que cette issue est pour l'Algérie une équation tout à fait logique et adaptée à sa position géo-stratégique au même titre qu'à celle de son voisin marocain qui jouit d'un grand intérêt à la fois français et américain. A ce propos, il faut signaler que l'offre française a coïncidé avec le début des grandes manœuvres de l'OTAN organisées dans le littoral atlantique marocain et baptisées “Med-chart-Majestic eagle 4”. Ces manœuvres se sont déroulées, d'ailleurs, après l'annonce faite par Washington considérant le Maroc comme le principal allié des Etats-Unis en dehors de l'OTAN. Il est donc, clair, que la France essaie de faire entrer l'Algérie dans son cercle défensif et par la même prendre les deux bouts du bâton notamment en inaugurant une coopération militaire inédite avec Alger - chose que n'a pas osé faire Washington jusqu'ici malgré les concessions algériennes – tout en renforçant sa coopération avec le Maroc et la Tunisie. Ainsi, son retour sur la scène maghrébine s'effectuera de façon globale. Paris compte, en effet, à travers les multiples visites effectuées par les hauts responsables de l'administration, signer un accord d'amitié et de coopération avec Alger en prélude à la reprise graduelle de son rôle dans la région. C'est ce qu'il faut comprendre par la volonté du gouvernement français de signer des accords relatifs aux infrastructures surtout que Paris constate avec regret le renforcement des positions américaines, chinoises, italiennes, espagnoles et japonaises dans le secteur des hydrocarbures, lequel renforcement menace sérieusement les intérêts français surtout que la France est un grand importateur de gaz algérien selon des conditions privilégiées. Or, en dehors du problème relatif aux hydrocarbures, la France a encore du souci à se faire quant au rôle des Etats-Unis en Algérie et au Maroc. En effet, Washington compte faire de la région du Maghreb un allié stratégique privilégié suivant des étapes bien calculées. En effet, les Etats-unis d'Amérique ont inauguré, depuis bien des années, le processus de la coopération militaire avec les pays de la région provoquant de sérieux remous au sein des cercles des stratèges français. Ceux-ci considèrent que les Américains ne ménageront aucun effort, à moyen terme, pour inclure le Maghreb dans leur réseau défensif africain et donnent comme preuve l'installation au Mali d'une grande base militaire. Or, seul le fait de constater que l'Amérique s'introduit en Afrique, à travers le Maghreb, constitue un cauchemar pour les autorités françaises qui continuent à croire que la partie africaine francophone demeure leur chasse gardée. C'est pour cela et ne serait-ce que pour le Sénégal, que la France voit d'un mauvais œil cette concurrence lancée par les Américains sur ses territoires traditionnels. Ces multiples soucis imposent à Paris de faire des concessions notamment lors de la conclusion de contrats militaires portant sur du matériel défensif et ce bien avant la levée de l'embargo décrété par l'Union européenne. C'est ce qui explique l'escale bruxelloise de Michel Barnier à la veille de son voyage à Alger. Et dans l'attente d'une contre-attaque française en Algérie, Washington ne donne pas l'impression de vouloir céder un pouce de ce qu'elle considère comme un acquis irréversible en Afrique du Nord.
Le Sahara, pierre angulaire
Lors de la rencontre qui a eu lieu entre le Roi Mohammed VI et George W. Bush, la question du Sahara était au centre des négociations. Mais, contrairement aux prévisions de certains analystes, le Président américain n'a pas fait pression sur le Roi du Maroc à ce sujet surtout qu'après la démission de James Baker, le Souverain avait pris l'initiative de demander aux Etats-Unis d'Amérique de jouer un plus grand rôle dans la recherche d'une solution politique négociée qui sauvegarderait l'intégrité territoriale du Royaume.
La position américaine immuable qui prend en considération le fait d'écarter toute pression sur le Maroc a encouragé la France à mettre la question du Sahara à l'ordre du jour de ses négociations avec l'Algérie. Mais les responsables algériens ont mis les charrettes avant les bœufs et ordonné à la presse de rédiger des éditoriaux qui dénoncent les pressions franco-espagnoles sur Alger afin de lâcher le front Polisario.
Ainsi, la France avait voulu marquer des points aux Américains en obligeant l'Algérie à inaugurer des négociations directes avec le Maroc. Mais son initiative a échoué, puisque lors de la conférence de presse conjointe, Abdelaziz Belkhadem a rétorqué à Michel Barnier en disant que : " le gouvernement français ne propose pas uniquement des négociations directes entre l'Algérie et le Maroc, mais propose en fait la normalisation de leurs relations bilatérales ". Devant ces propos, le ministre français des Affaires étrangères avait tenu à clarifier les positions en soulignant que la France ne tenait pas à jouer le rôle de médiateur entre les deux pays.
Cependant, l'essentiel dans tout cela est que la France a bien compris que l'Algérie ne pouvait pas passer outre le rôle américain dans la région surtout par rapport à cette question, même si Paris consentait à satisfaire Abdelaziz Bouteflika notamment en matière de défense et de coopération dans le cadre d'un traité d'amitié.
Tous ces indices démontrent que l'Amérique est devenue incontournable dans la région et que les pays du Maghreb ne sont plus la chasse gardée des Français qui ne récoltent que ce qu'ils ont semé comme erreurs depuis le début des années quatre-vingt-dix.
En tout état de cause, il est devenu clair que l'Algérie préfère patienter avant de s'engager avec la France par souci de ne pas contrarier Washington, d'autant plus que les prévisions et les sondages préélectoraux donnent vainqueurs les Démocrates. Ce qui ne ferait que conforter les responsables algériens qui considèrent que les Républicains sont des alliés historiques de Rabat.
Quoi qu'il en soit, les Américains ne pourraient modifier facilement leurs positions eu égard aux multiples donnes géostratégiques. Washington se présente, désormais, en allié à tout l'ensemble maghrébin dans sa globalité. Et c'est à partir de là, que la concurrence et la compétition iront crescendo. Mais la France, consciente du danger américain, se déploiera intensément pour contrecarrer ses projets dans une région qu'elle considère comme partie intégrante de sa sécurité nationale.


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