Huit mois après sa réouverture dans de nouveaux locaux, la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc souffre toujours d'une faible fréquentation, malgré des équipements ultramodernes et une réelle volonté de mise à niveau. À cinq minutes à pied de la gare Rabat-Ville, passés les remparts, il faut suivre le chemin de fer du futur tramway dont la construction avance progressivement. Après quelques minutes de marche, on tombe inévitablement sur une grande esplanade immaculée. Yeux fragiles, attention, lors des jours de grand soleil, on est quasiment ébloui. Par la luminosité, oui. Par ce bâtiment tout en murs blancs et structures en verre qui abrite les quelque 300 000 ouvrages que compte la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (BNRM), oui, un peu. Moderne, spacieuse, hauts plafonds, tout est très vaste, très clair et très… vide, aussi. A l'entrée, ça ne se bouscule pas au portillon de sécurité, ni au vestiaire, où tous les visiteurs sont conviés à laisser leurs sacs. C'est donc les mains chargées de stylo, téléphone, portefeuille et bloc-notes que l'on pénètre dans un vaste hall. Des panneaux indiquent les diverses salles : grand public, collections spécialisées, où l'on peut consulter les cartes géographiques notamment, l'espace périodiques consacré aux journaux et revues, l'espace des chercheurs, et un espace pour les malvoyants, pas encore ouvert. Des chercheurs perdus On pénètre dans la première salle, la salle de lecture grand public, accessible à tous. L'ambiance est feutrée. Les pas résonnent à peine, on distingue vaguement quelques chuchotements. Pas de doute : nous sommes bien dans une bibliothèque. La salle, qui propose environ 500 places assises, est immense. Aujourd'hui, une vingtaine de lecteurs seulement sont disséminés sur les longues tables. “La fréquentation de la BNRM oscille depuis son ouverture en octobre 2008 entre 3.450 à 6.035 visiteurs, nous apprend Fatima Aziz, chef de division des services aux publics. Ce qui représente une moyenne de 200 à 300 personnes par jour. Ce sont les salles des chercheurs et du grand public qui sont les plus fréquentées”. L'un des défis de la Bibliothèque nationale marocaine semble être celui de la fréquentation. En effet, comment attirer plus de monde ? C'est justement le rôle de Fatima Aziz. Elle va devoir, dans les mois qui viennent, évaluer ce que veulent les visiteurs, travailler sur des sondages afin de savoir quels offres et services attireraient d'autres usagers : des abonnements à de nouvelles publications, d'autres bases de données, des horaires plus larges ? Dans la salle des périodiques, quasiment déserte, Hend Guira, doctorante en histoire contemporaine, pianote sur le clavier d'un ordinateur. Cette Tunisienne s'est installée au Maroc pour une durée d'un mois, le temps d'effectuer des recherches dans le cadre de sa thèse. Selon elle, le fonds de la BNRM serait plus ou moins aussi important que celui de la Bibliothèque nationale de Tunisie. Cependant, Hend Guira reproche à la BNRM un mode de fonctionnement compliqué. “La bibliothèque comprend trois bases de données informatiques. Cela complique les recherches. Il faut alors se rabattre sur l'ancienne méthode, la recherche par fiches. Il n'y a pas une base de données unique comme c'est le cas en France ou en Tunisie”, critique-t-elle. Côté administration, on répond que les lourdeurs administratives et le temps, long, de formation du personnel et de paramétrage des logiciels retardent l'informatisation totale de la BNRM, encore à cheval sur deux systèmes. Pour avoir accès à certaines archives historiques, Hend a dû déposer une demande d'accès, il y a une semaine. Elle attend toujours la réponse. En attendant, elle navigue sur de nouvelles bases de données internationales auxquelles vient de s'abonner la bibliothèque. Pour elle, la BNRM est encore en période de transition. “En fait, le problème est le même qu'en Tunisie : on renouvelle la structure, les bâtiments, et donc l'image de la bibliothèque, mais par contre, le personnel de la bibliothèque continue de travailler avec de vieilles méthodes. Certains ne savent même pas se servir d'un ordinateur !”, s'étonne la thésarde. Onze niveaux de stockage Malgré tout, la BNRM tente de mettre toutes les chances de son côté pour avoir la carrure d'une Bibliothèque nationale à l'image de ses amies étrangères, les bibliothèques nationales française, espagnole, allemande, polonaise ou encore québécoise, avec lesquelles elle a signé des conventions de partenariat pour la formation du personnel. “Grâce à ces conventions, nous avons des formations sur le catalogage, les activités culturelles, les services juridiques, la gestion des périodiques, la conservation, la formation de restauration des manuscrits…”, énumère Fatima Aziz. La BNRM a une autre corde à son arc : la tour de conservation, ce donjon blanc orné de bleu qui surplombe les bâtiments principaux. Lorsqu'elle était sise dans ses anciens locaux, la bibliothèque était critiquée pour son manque de place de stockage, et surtout sa désinvolture dans la conservation de précieux ouvrages. Aujourd'hui, le problème semble résolu, notamment avec les journaux périodiques conservés dans des boîtes anti-acides. “Cette tour représente un formidable espace de stockage sur onze niveaux, avec des rayonnages mobiles en accordéon, ce qui multiplie la surface de stockage par quatre, nous informe Driss Khrouz, directeur de la BNRM. C'est là que sont stockés les ouvrages anciens, très fragiles. L'accès est limité et la lumière du jour n'y entre pas”. Reste le pôle de programmes de recherches, inhérent à toute grande bibliothèque, qui semble laissé de côté. “C'est une idée qui existe, répond Fatima Aziz, mais cela demande une certaine gestion administrative et financière. Et aussi plus de maturité…”. Après ses premiers pas, on attend donc que la Bibliothèque Nationale grandisse un peu. M.D.