Pièce clé du puzzle moyen-oriental, le régime de Damas est revenu sur le devant de la scène au bénéfice d'une nouvelle diplomatie française et des signaux d'ouverture en provenance de Washington. Bachar Al Assad saura –t-il transformer l'essai ? Il y a un an, la Syrie évoluait sur la scène internationale, comme un paria relégué à la marge du concert des nations. Catalogué par l'administration Bush dans l'axe du mal, accusé de soutenir le terrorisme au Liban et en Palestine et de jouer les trouble-fête en Irak, le régime de Damas était, à en croire les indiscrétions du célèbre Seymour Hersh, à deux doigts de frappes américaines ou israéliennes. Celles-ci se sont matérialisées l'année dernière et tout le monde redoutait un embrasement en raison de l'alliance renforcée entre la Syrie et l'Iran. Depuis, dans les chancelleries occidentales, la même question : comment renouer le dialogue avec Damas ? Depuis longtemps, la communauté internationale alterne la carotte – envoi d'émissaires, invitation du président syrien à la cérémonie du 14 juillet, en marge du lancement de l'Union pour la Méditerranée, et le bâton, comme les sanctions financières récemment reconduites par l'administration Obama. Les enjeux sont multiples, nucléaire iranien, indépendance du Liban, relations avec le gouvernement de Nouri Al Maliki à Bagdad, paix avec Israël, entre autres. Aujourd'hui, Damas est appelée à jouer un rôle plus positif dans la région. Passée la guerre contre Gaza, Damas a réitéré sa disposition à reprendre des négociations de paix indirectes avec Israël. Les pourparlers, engagés grâce à la médiation turque, étaient au point mort. Ankara a récemment quitté sa réserve pour dénoncer la politique israélienne, comme en témoigne le point de vue exposé en public par le Premier ministre turc, Rajip Teyyep Erdogan, lors d'une mémorable algarade avec le président israélien Shimon Peres, au dernier sommet de Davos. Sur ce point, les récentes déclarations du Premier ministre Benyamin Netanyahou ne manquent pas d'inquiéter, à Damas : “En se maintenant au Golan, Israël conservera un avantage stratégique en cas de conflit militaire avec la Syrie”, rapporte Haaretz. Pour le régime de Bachar El Assad, la rétrocession du Golan n'est pas négociable. “La balle est dans le camp israélien”. À force d'être répétée, cette affirmation a été érigée en antienne de la diplomatie moyen-orientale. Dans le cas de la Syrie, et surtout depuis l'occasion manquée de 2000, le chemin vers la paix doit surtout être parcouru par le gouvernement israélien. Un engagement américain, voire européen, sur cette question est donc attendu. Pour cela, l'administration Obama doit veiller à tendre la main à Damas tout en préservant les intérêts américains. Comme le note un rapport récent de l'International Crisis Group consacré aux relations entre la Syrie et la France, “suite à une longue interruption des relations il est nécessaire de prévoir une phase assez longue d'observation réciproque, d'examen des possibilités et de reconstruction de relations de confiance”. Le régime de Damas, s'il est disposé à rouvrir des relations diplomatiques avec les pays occidentaux, notamment le Royaume-Uni et les Etats-Unis, cherche avant tout à fortifier sa position. Nicolas Sarkozy l'a bien compris, en maniant fermeté et patience, notamment sur le dossier libanais, géré directement par l'Elysée. Au Liban, les années de tension extrême, de l'assassinat de Rafic Hariri en 2005 à 2008, semblent loin derrière. Récemment le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) à la Haye a libéré quatre responsables pro-syriens, accusés de complicité dans l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais. Cette annonce, basée sur l'absence de preuves justifiant le maintien en détention des prévenus, a été accueillie comme un signe de détente par les milieux officiels syriens. Mais la majorité actuellement au pouvoir à Beyrouth souhaite renforcer l'indépendance du Liban et la révision des accords bilatéraux entre Damas et Beyrouth. Allié de l'Iran, le régime de Damas a compris qu'il avait une carte à (ne pas) jouer avec Téhéran. Au moment où la communauté internationale tente de trouver une issue négociée à la crise du nucléaire iranien, la Syrie a tout intérêt à conserver ses liens avec l'Iran. C'est ce qu'a réaffirmé récemment le président El Assad lors d'une rencontre avec son homologue iranien, qualifiant le partenariat entre les deux pays de “stratégique”. Cette amitié ambiguë s'est renforcé, il est vrai, depuis l'invasion américaine en Irak, en 2003. Une guerre fraiche ? Dénoncé dans un premier temps par les régimes du Caire et de Riyad, cet axe Damas-Téhéran est une carte de plus dans le “portefeuille stratégique” de la Syrie. Une main que Bachar El Assad gagnerait à ne pas surjouer. “Les Syriens croient être au centre du Moyen-Orient. Ils croient que rien ne peut se faire sans eux”, ironise un analyste politique cité par le Financial Times. Pour beaucoup, le changement de ton des chancelleries occidentales ne doit pas être surestimé. La Syrie doit encore faire des efforts, et convaincre de sa bonne volonté. La marge de manœuvre reste, en effet, étroite. Il y a quelques jours, le président Barack Obama a renouvelé les sanctions contre la Syrie, imposées par son prédécesseur George W. Bush, en 2004. Le précédent décret présidentiel devait expirer le 10 mai dernier. Le maintien de ces sanctions, en plus des résolutions contraignantes du Conseil de sécurité et de la poursuite du procès de l'assassinat de Rafik Hariri risquent de tester rapidement les limites du dégel entre Damas et Washington. En outre, des officiels américains ont révélé que des réseaux jihadistes utilisés par Al Qaida pour faire venir des combattants islamistes en Irak via la Syrie ont été réactivés après une période de sommeil. Selon des responsables de l'armée américaine, Damas fermerait les yeux sur l'entrée de militants extrémistes en Irak. Pourtant, depuis l'annonce du retrait progressif des Etats-Unis en Irak, la Syrie a pris conscience du danger terroriste potentiel à ses frontières et de l'intérêt d'un Irak stable. Tiraillée entre des tactiques basées sur sa capacité de nuisance et ses intérêts stratégiques à long terme, la Syrie de Bachar El Assad a des choix difficiles à faire. Youssef Aït Akdim