Miloudi se pose toujours des questions. Ce n'est pas de sa faute, les questions lui tombent dessus sans qu'il demande quoi que ce soit. Il y a quelques jours, invité à une soirée, il a vu arriver un petit orchestre de musique chaabi très groovy. Jusque-là rien d'anormal. Au fur et à mesure que la soirée avançait, les invités arrivaient et les décibels augmentaient comme pour étouffer toute tentative de conversation. La première question, récurrente à chaque rassemblement, était donc de savoir pourquoi on met la musique tellement fort qu'on ne peut pas parler à son voisin sans être obligé de hurler ou, comble du raffinement, de l'arroser de postillons au creux du cou de préférence. La seconde question était tout aussi fondamentale. Dès qu'il y a de la musique, en particulier de la musique arabe, les gens dansent. Jusque là rien d'anormal non plus. Les premiers se dandinent doucement, comme dans un échauffement. Mais à chaque fois, à un moment ou un autre, la même scène se répète. Quelqu'un tire une femme pour l'amener au centre de la piste improvisée. La jeune femme semble freiner des quatre fers en accompagnant son glissage vers la scène de borborygmes confus que l'on pourrait aisément prendre pour une expression de réticence. A un moment précis, comme si elle franchissait la limite invisible d'un cercle magique, sa timidité se volatilise et, comme prise dans une transe, elle se lance dans une sorte de performance incompatible avec la moindre trace de timidité, créant automatiquement autour d'elle un vide au bord duquel se pressent les autres convives mués en spectateurs. Déhanchements, cheveux déliés qui fouettent l'assistance, c'est une véritable compétition qui se déclenche avec, très rapidement l'implication du reste de l'assistance où chacun essaie de montrer son (aussi) bon niveau. Un jour Miloudi aimerait bien comprendre cette mise en scène en craignant le jour où il pourrait être traîné vers le centre de cette scène par des mains forcément inamicales.