Un atelier de traduction collective réalisé à Tanger en janvier 2003 et à Marseille en juin 2003 par le Centre International de Poésie de Marseille, tel est le souvenir qui me revient sept ans après en relisant le fruit de ces échanges entre poètes des deux rives. Yassin Adnan, venant alors de Marrakech, Mehdi Akhrif, arrivé de Tétouan, Jean-Michel Espitalier, Emmanuel Hocquard, mon vieil ami parisien Claude Royet-Journoud qui fut, à Londres et en langue française, le premier éditeur de Mohammed Khaïr – Eddine, et enfin Abdallah Zrika arrivé de Casablanca, tous ces poètes s'entendirent comme larrons en foire. Le Centre International de Poésie de Marseille avait déjà publié en 2003 dans sa précieuse collection Import / Export un volume «Damas / Marseille» réunissant Nazih Abou Afach, Jean-Charles Depaule, Mohamed Fouad et Jean-Pierre Ostende, ce poète marseillais qui débuta en célébrant les élans minuscules. Un volume de la collection Import/ Export avait aussi accueilli l'échange Beyrouth /Marseille avec Hassan Abdallah, Paul Chaoul, Eric Giraud, Iskandar Habache, Abdou Wasen, Jean Charles Depaule et quelques autres poètes. Tout ceci grâce aux Centres Culturels Français de Tanger, Beyrouth et Damas. Depaule écrivant ceci : «ton père n'était pas premier violon/ dans l'orchestra de l'orchestre de l'Opéra du Caire» comme s'il avait infirmé une rumeur musicale le concernant. Auparavant on avait lu sous sa plume : «Ton père ne venait pas de Calabre/ (Y.après l'école des sœurs/ elle commence à se rendre compte de sa féminité/ secrétaire dans une société pharmaceutique/ concours de beauté – prix – films/ un verre une cigarette/ être la reine des cœurs/ la voici lancée vers la gloire) Mais revenons à l'échange Tanger/ Marseille pour y retrouver le recueil d'Abdallah Zrika «Des vides rapiécés par un fil du soleil» paru en langue arabe aux éditions Le Fennec en 1995 avec cet extrait fruit de la traduction française réalisée collectivement par les poètes à Tanger, lors du Salon du livre 2003 : «personne ne m'a averti quand j'ai failli entrer dans la chambre d'effroi qui mène aux couleurs de ma tête/ a fortiori, cet horizon/ même le dernier mot, je l'écraserai comme le dernier pou». Il n'y a que Zrika pour mettre ainsi les lecteurs dans sa poche ! Quel téléspectateur fidèle ( ?) à l'émission littéraire animée avec componction par Yassin Adnan s'imagine t-il , par ailleurs, que le poète marrakchi écrivait dans «Le Pavé du jugement dernier : «j'ai vu ses lèvres escalader tes branches/ son souffle / poursuivre les papillons / dans le jardin de tes seins,/ J'ai ressenti son cuivre visqueux / entre tes écorces, / je l'ai vu, lui, dans ton sommeil / comme l'or pourrait voir son éclat/ et j'ai détesté venir dans toi» ? On ne s'aventurera pas à prétendre l'expérience amoureuse ainsi décrite par Yassin Adnan responsable de la proclamation de son frère jumeau Taha : «Akrahou al hob» (je hais l'amour, 2009, Dar Al-Nahda Al Arabia), titre du recueil qui vient d'être réédité en arabe et en français aux éditions Le Fennec à la faveur de l'invitation des «Marocains du monde» au Salon International de l'Edition et du Livre de Casablanca. Chez les poètes, c'est le problème qui est la solution. Les Jumeaux Adnan se sont donc séparés. Taha vit à Bruxelles où il est en charge, notamment, à travers les hommages que le cadet, directeur du Salon littéraire arabe de Bruxelles, rend à l'ainé. En fait d'hommage, j'achèverai d'égrener ce chapelet de digressions en espérant que Taha Adnan, sans lâcher le maillon Berrada, s'attache à lire et à faire lire aux Belges «L'éternité ne penche que du côté de l'amour» (éditions William Blahe and Co.2002) d'Abdelmajid Benjelloun. C'est en effet un poète belge de langue française William Cliff, une des voix les plus hardies de la poésie contemporaine qui se fait un devoir d'inviter les Belges et les autres à lire le Slaoui dont les aphorismes me charment de langue dote : «L'amour reste toujours la parole donnée à la saveur». Yassin et Taha sont nés à Safi avant que leurs parents ne s'installent à Marrakech. Pour les saveurs, ils disposent donc d'un large éventail.