Jean-Pierre Filiu, historien et arabisant, nous explique pourquoi il a écrit l'histoire de Gaza et comment il voit l'avenir de cette bande de terre de 360 m2. Pourquoi publier cette histoire de Gaza maintenant ? Cela fait désormais trente ans que je suis à un titre ou à un autre la question palestinienne et j'ai été frappé qu'aucune recherche historique n'ait été consacrée à la bande de Gaza en tant que telle. Or ce territoire de 360km2 se retrouve à bien des égards au centre de l'émergence du nationalisme palestinien : c'est là qu'est proclamée en 1948 l'indépendance de la Palestine, alors même que la guerre fait rage ; c'est là que s'organisent les premières cellules de fedayines, et ce dès les années 50 ; c'est là qu'une résistance armée persiste durant quarante ans après l'occupation israélienne de 1967, tandis que la Cisjordanie est rapidement sous contrôle ; c'est là qu'éclate la première Intifada de 1987 et c'est aussi là que naît le Hamas. Or toute l'histoire palestinienne semble plutôt être écrite à partir de Jérusalem/Ramallah, voire de la diaspora et des réfugiés. C'est ce manque que je me suis efforcé de combler en présentant l'extraordinaire richesse de Gaza dans l'histoire. Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées pour écrire ce livre ? Le défi majeur est d'écrire une histoire sans archive, car les archives ont été saisies au fil des occupations successives, ou bien elles on disparu lors des différentes crises, quand elles ne sont pas tout simplement inaccessibles. Il faut donc se livrer à un travail patient de reconstitution de la mémoire collective par le biais des entretiens oraux, des documentations privées, des collections de tracts, des publications associatives,... Et puis, il est toujours délicat d'accéder à la bande de Gaza, où certains secteurs présentent de surcroît de réels problèmes de sécurité. Dans votre avant-propos vous dites « qu'il faut renouer le fil de l'histoire afin de rouvrir, au-delà des ruines et du deuil, un horizon d'avenir ». Comment voyez-vous l'avenir de Gaza ? Je suis convaincu que la relance du processus de paix doit impérativement passer par Gaza, et non considérer que ce territoire sera « raccroché » à une dynamique définie en dehors de lui. Je propose à cet égard un triptyque vertueux pour sortir de l'impasse actuelle : désenclavement, démilitarisation et développement. La levée du siège aujourd'hui imposé au million et demi de femmes et d'hommes de la bande de Gaza est une condition indispensable pour briser l'engrenage de la violence armée, mais aussi pour retrouver une rationalité économique et sortir Gaza de la spirale de l'assistance et de la dépendance. En tant qu'historien du monde arabe, y a-t-il des motifs d'espoir au Moyen-Orient ? Le monde arabe est entré dans une phase de changement historique que je situe dans le prolongement de la Nahda, la Renaissance du XIXème siècle, dont les mouvements révolutionnaires actuels portent les espérances d'émancipation individuelle et collective. La jeunesse arabe est profondément mobilisée dans cette perspective, même si les formes de cette mobilisation diffèrent d'un pays à l'autre. A Gaza, aussi, cette jeunesse a repris la parole, entre autres pour pousser le Fatah et le Hamas à se réconcilier, afin de rouvrir l'horizon politique palestinien bouché depuis la rupture de 2007. * Tweet * *