Philippe Delis, architecte, designer et scénographe, est la tête pensante derrière le musée de la Fondation Slaoui, inauguré en grande pompe mercredi dernier. Rencontre. Philippe Delis qui a conçu ce musée-écrin haut de quatre étages, riche d'une précieuse collection d'objets chinée par le grand collectionneur Abderahman Slaoui. Auteur du musée de Bank Al-Maghrib à Rabat et du musée du patrimoine amazigh d'Agadir, scénographe de Marrakech Art Fair, initiateur de multiples formations sur le design contemporain et le patrimoine et d'un atelier de céramique à Fès, ancien directeur de projet à l'ENSCI (Ecole supérieure de création industrielle de Paris), et collaborateur au magazine Architecture du Maroc, cet inconditionnel de l'espace a su étendre son savoir-faire dans un pays qu'il admire. Car ce grand voyageur porte le royaume dans son cœur, et fusionne totalement avec son peuple. Marié à une marocaine, il y a élu domicile. Nous l'avons rencontré dans son atelier, au cœur du quartier Mers-Sultan. Philippe Delis, architecte, designer et scénographe. Quelle est l'idée derrière la répartition des espaces sur les quatre étages du nouveau musée de la fondation Slaoui ? L'idée est de trouver un lien entre tous les objets. Il s'agit aussi d'une invitation au voyage à travers des thématiques posées sur les objets, parce qu'être collectionneur est une manière particulière de regarder le monde. Le parti pris général est celui d'une maison du collectionneur, surtout le premier étage qui restitue cette atmosphère, avec un thème sous-jacent de « cabinet de curiosités » qu s'apparente à une interrogation sur le monde. Le deuxième étage est basé sur une approche plus technique et plus plastique de ces objets, telles la couleur, la forme, la texture. L'élément scénographique du musée est le papier peint, et l'élément muséographique réside en les affiches orientalistes dont certaines du peintre Jacques Majorelle, sérigraphiées. Nous avons fabriqué un univers pour chaque collection, en effectuant un travail photographique des objets, couvrant les murs avec une sorte de tapisserie contemporaine ou imprimée qui restitue la texture,la gravure et le dessin des objets. Comment comptez-vous faire vivre ce musée ? Une des facultés de la technique scénographique qu'on a préconisée est de pouvoir faire bouger un grand tiers de son espace. 200 m2 ont été modifiés sur une surface de 600 m2 pour accueilir l'exposition de Gabriel Veyre. On a mis en place un système de cimaise en bois qui permet de raccrocher des tableaux de manière à faire vivre le musée. L'espace d'exposition temporaire sera modifié afin d'accueillir une exposition du peintre Mohamed Rbati. Les musées posent une problématique : comment les faire vivre, fidéliser les visiteurs, et créer un espace dynamique. Il faut une mise à disposition des lieux pour un certain nombre de manifestations. Il faut louer les espaces et les prêter pour des expositions temporaires, ou en créer des espaces pour congrès ou autres activités. Que pensez-vous du statut des musées au Maroc ? L'initiative de la famille Slaoui est de montrer qu'il y a de grandes collections privées qui existent. C'est un investissement énorme qui demande beaucoup de courage, et de telles initiatives doivent susciter l'intérêt chez les grandes familles marocaines et les pousser à partager cette culture. Il y a un grand problème qui entrave la création de musées privés au Maroc, c'est le manque d'incitation fiscale. En France, défiscaliser permet d'acheter des objets déductibles d'impôts et les donner à une fondation. Au Maroc, ce statut n'existe pas. Actuellement, une fondation pour l'analyse des musées nationaux et royaux a été créée. Vous êtes aussi designer et créateur de meubles modernes, à la fois originaux et simples. Quelle est le lien entre la scénographie et votre métier d'architecte ? C'est le travail dans le travail. Quand on est scénographe d'exposition, il y a toujours la question du support et du mobilier qui se pose. Voilà pourquoi je travaille sur la notion de soustraction des signes des objets que je fabrique, les simplifiant au maximum. Je puise de mon travail de scénographe des réflexions sur la forme, la matière et l'usage. Je travaille sur la posture, la notion du corps, du temps, la matrice, et je me préoccupe de toutes ces thématiques pour pouvoir théoriser sur mon travail de scénographe. Et je développe depuis un moment un livre sur ces sujets. * Tweet * * *