L'Organisation pour les libertés d'information et d'expression (OLIE) a réuni, jeudi 19 avril à Rabat, chercheurs et journalistes pour le diagnostic des recommandations du dialogue national « Médias et société ». Le bilan suggère plus qu'une simple interrogation. L'instance du dialogue national sur «Médias et société», coordonné par l'enseignant-chercheur Jamal Eddine Naji, avait tenu sur plus d'une année des réunions marathoniennes avec les acteurs politique, économiques et de la société civile du pays. Un rapport lourd mais vide. Le diagnostic que dressent les spécialistes et chercheurs dans le secteur des médias et de l'information ne fait pas d'éloge aux conclusions auquels a abouti le dialogue national « Médias et société ». Au total, ce sont 303 recommandations que livre la feuille de route dont l'élaboration a nécessité un investissement humain et financier colossal. Mais le résultat ne semble pas convaincre les chercheurs et experts du domaine. Invités par l'Organisation pour les libertés d'information et d'expression (OLIE) à « Une lecture des conclusions » de la feuille de route élaborée par la coordination générale de ce dialogue national, jeudi dernier à Rabat, leurs impressions ont toutes convergé vers une question « Quel est le véritable intérêt des recommandations ? ». Valeur ajoutée mais sans conséquence « Le rapport en soi est une valeur ajoutée », estime Yahya El Yahyaoui, chercheur dans les domaines de l'information, de la communication et de l'Internet. L'expert se dit convaincu que le rapport pourra être utilisé pour proposer des voies à la réforme d'un secteur difficile à remettre à niveau. « Mais c'est dans ce point fort que l'on trouve aussi le point de faiblesse », constate-t-il, précisant qu'une recommandation sans mise en œuvre ne servira à rien. « J'aurais préféré que ce rapport contenant plus de 300 propositions soit une synthèse de 15 recommandations avec des moyens et des délais d'exécution», souhaite Yahya El Yahyaoui. L'expert ne mâche pas ses mots et va même jusqu'à dénoncer une dépense stérile. « Pourquoi dilapider 350 millions (3,5 MDH, ndlr) pour un diagnostic qu'on aurait pu confier à un étudiant de l'Institut supérieur de l'information et de la communication ? », s'interroge Yahya El Yahyaoui soulignant que certaines recommandations sont même « inutiles ». « Comment peut-on, par exemple, proposer la gouvernance de l'Internet ? Le Maroc n'a aucun pouvoir sur la toile », rappelle-t-il. Le spécialiste dont les critiques remettent en question le fond mais aussi la forme de la feuille de route tient tout de même à préciser que ses remarques ne doivent aucunement être interprétées comme « un règlement de comptes » quelconque, mais comme un diagnostic scientifique. Sont-elles toujours valables ? Les impressions du rédacteur en chef d'«Al Michaâl», Aziz Koukass, s'accordent en plusieurs points avec celles de El Yahyaoui. Pour lui, les conclusions de la feuille de route présentent « un caractère très littéraire ». « Le dialogue national est une bonne initiative, mais il n'a pas été conduit de la manière adéquate », estime-t-il, regrettant que les professionnels directement concernés n'aient pas participé à ce travail dont l'élaboration a duré plus d'un an allant de janvier 2010 à avril 2011. Ce que regrette également Aziz Koukass, dans le lancement de ce dialogue, c'est sa thématique « Médias et société ». « Ils sont présentés comme deux entités contradictoires, or, la société n'est pas à l'opposé des médias et vice versa. C'est « Médias et Etat » qu'on aurait dû proposer comme thématique », soutient-il. Autre défaillance du rapport : la participation des partis politiques qui, aux yeux de ce professionnel, ne peut être qualifiée que de « faible ». « Seuls neuf partis politiques ont présenté leurs mémorandums du dialogue national à l'instance chargée de tracer la feuille de route », rappelle-t-il faisant allusion au manque d'implication de l'ensemble des politiques dans le chantier des médias. Aziz Koukass s'interroge, par ailleurs, sur l'adéquation des recommandations avec le contexte du changement que connaît le Maroc. « Après le déclenchement du Mouvement du 20 février 2011, est-ce que ces recommandations sont toujours valables ? », se demande-t-il. Aspect juridique Les deux autres invités de l'OLIE, les chercheurs El Maâti Mounjib, président du Centre Ibn Rochd des études et de la communication et Ali Karimi, président du Centre des études et de recherches des droits de l'Homme et de l'information, se sont focalisés sur l'aspect juridique. « La profession a besoin d'un cadre législatif que je ne trouve toujours pas dans les rapports alors que les dysfonctionnements à ce niveau sont énormes. Le code de la presse devrait être appelé : code pénal de la presse », déclare Ali Karimi. Et de proposer que les tribunaux administratifs soient dotés de cellules spécialisées afin de mieux traiter les affaires relevant du secteur de la presse. El Maâti Mounjib se dit ainsi préoccupé par la relation justice-presse. « La presse quelque soit son genre n'est pas libre. La rumeur y est parfois utilisée à des fins politiques », tient-il à souligner.