« La nuit américaine » fut le prétexte, à sa sortie, d'un échange épistolaire très dur entre Jean Luc Godard et François Truffaut. Et c'est Godard qui, sortant exaspéré d'une projection du film, déclencha les hostilités en envoyant à son vieil ami une lettre remplie de mépris et de provocation. Ce à quoi Truffaut répliqua par un très long texte d'une grande violence, traitant Godard de « merde sur son socle », entre autres amabilités… Leur amitié fut rompue. Truffaut en sortit meurtri. Mais heureusement pour lui, Godard fut l'un des rares à se dresser contre le film, qui fut un réel succès et lui permit de remporter l'oscar du meilleur film étranger en 1974. Même si les détracteurs de Truffaut lui reprochaient un caractère apolitique, à rebours des cinéastes encensés à l'époque. Avec « La nuit américaine », François Truffaut concrétise enfin un vieux rêve : celui de montrer un film en train de se faire. Déclaration de foi dans le cinéma, qu'il aime plus que tout au monde, plus que la vraie vie, « La nuit américaine » entremêle documentaire et fiction et livre une vision sincère et vraie sur un univers factice. « J'ai tourné « La nuit américaine » avec la volonté de rendre heureux le spectateur face au spectacle d'un film en train de se faire, de faire entrer de la joie et de la légèreté par toutes les perforations de la pellicule », disait Truffaut. Dans un studio de cinéma, toute une équipe s'affaire au tournage d'un film. Autour du metteur en scène, Ferrand, incarné par François Truffaut, acteurs, techniciens, décorateurs, costumiers, figurants et producteur, s'activent à donner vie à « Je vous présente Pamela », un scénario somme toute banal où il est question d'une histoire d'amour entre un homme vieillissant (Jean Pierre Léaud) et sa belle-fille (Jacqueline Bisset, au sommet de sa beauté). Les anecdotes se succèdent et les sentiments hors caméra et devant la caméra débordent et se confondent, alternant moments de tensions et passages comiques fort réussis. Le film déploie alors une belle vitalité et met l'accent sur le rôle de « passeur » du cinéma de François Truffaut qui ne cessa, sa vie durant, d'en révéler les facettes ignorées du grand public. Dans « La nuit américaine », la fabrication d'un film ressemble à une longue entreprise qu'on souhaite belle au départ, mais qu'on veut ensuite achever au plus vite au fur et à mesure que les divers et imprévus en sabotent la réussite. Evidemment, si les anecdotes qui se suivent et ne se ressemblent pas sonnent aussi justes, c'est aussi grâce à un casting brillant qui, de Jean-Pierre Léaud à Valentina Cortese, de Nathalie Baye à Jean-Pierre Stévenin, et de Dani à Bernard Menez, donne chair à cette grande famille de doux dingues, que Truffaut a du mal à juger avec distance et sévérité. Mais encore au-delà, c'est surtout l'autoportrait du cinéaste au travail qui trouve ici une résonance touchante. Ferrand / Truffaut est certes pressé, mais reste attentif, rassure ses acteurs, et n'est jamais à court de blagues pour désamorcer les crises. Enfin, preuve d'humilité, le film dans le film n'est pas grand. Truffaut a décidément toujours préféré rester l'œil rivé au côté des artisans.