A la suite de l'affaire Amina Filali, vous avez publié deux propositions de loi. En quoi consistent-elles? Depuis l'adhésion du Maroc à la convention internationale de protection de l'enfance, il a entrepris bon nombre de mesures afin d'adapter sa législation intérieure aux dispositions du droit international. L'adoption d'une nouvelle Constitution a permis d'élargir le champ des droits fondamentaux et des libertés, notamment le droit à la vie, à la sécurité et à l'intégrité physique et morale de la personne. Il devient alors impératif que l'Etat confirme dans les faits sa volonté de protéger les enfants de moins de 18 ans en garantissant leur intégrité physique et morale ; et veiller à ne pas les exposer à des risques de différentes formes de violences, surtout menaces ou fraudes, enlèvements ou détournements ou viols quel que soit le motif invoqué.L'affaire Amina Filali vient mettre à nu, et de façon hautement dramatique, ces risques encourus par l'enfance marocaine. Une réponse législative s'imposait. D'où ces deux propositions de lois qui appellent à la réadaptation et à l'amendement des articles 475, 484 et 486 du code pénal et à l'adaptation et l'amendement des articles 20, 21 et 22 du code de la famille pour que le législateur agisse rapidement pour redresser et assainir la situation, de telle sorte que la loi ne laisse plus place à l'impunité et à des comportements tordus qui mènent à l'interprétation cynique et vicieuse des lois. Vos efforts ont-ils suscité le débat escompté au sein du Parlement et surtout de la Commission de justice? A ma connaissance, depuis le dépôt des propositions citées ci-dessus à la Chambre des conseillers. Le bureau de la seconde Chambre les a transmis à la commission concernée. A ce jour, et après plus d'une semaine du dépôt des propositions et à près de deux semaines avant l'ouverture de la session parlementaire, la commission de la justice, des lois et des droits de l'homme n'a toujours pas programmé leur discussion. D'autres groupes parlementaires, qui souhaitent débattre de ces questions pourront avoir l'occasion de s'exprimer là-dessus. Je souhaite que la deuxième Chambre soit sensibilisée à l'extrême urgence de son intervention pour débattre des deux propositions de lois pour enfin les adopter lors de la session du printemps prochain. Que pensez-vous de la réaction du ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, à l'affaire Amina Filali ? Le ministre de la Justice et des libertés me semble, par ses propos, dans divers médias, traduire plus l'avis d'un courant politique et d'une vision conservatrice de la société, plus que l'expression de la volonté de l'Etat de tenir ces engagements. La société peut s'autoriser un débat passionné et passionnel, qui exprime les différents courants de pensées qui l'animent. L'Etat, pour sa part, et en l'occurrence, le gouvernement, se doit d'assurer protection à son enfance et ne tolérer aucune exception qui sacrifie les libertés fondamentales à tels us ou coutumes, quelles qu'en soient les motivations. Le ministre a aussi péché par son désir de minimiser l'affaire Amina Filali, tout en disculpant la justice de tout excès de zèle. Il a notamment péché en incisant sur le fait qu'il ne fallait pas, sous la pression de l'opinion céder à la tentation de réformer la loi. Comme si la réactivité positive du législateur vis-à-vis des attentes de la société était un péché mortel. Je dirais même qu'il s'oppose clairement aux dispositions de la nouvelle Constitution qui a élargi le champ législatif parlementaire, notamment sur la question du droit de la famille. Il ne s'agit sans doute pas de texte sacré, comme le pense le ministre, mais tout simplement de droits à réglementer par la loi. Et rien n'empêche de modifier le code de la famille, surtout quand l'intérêt du pays et ses engagements le dictent. Pensez-vous dans ce cas que votre appel au changement de certains articles du code de la famille sera entendu? Le ministre, par ces déclarations, a aussi voulu adresser un message au pouvoir législatif, en indiquant des lignes rouges à ne pas dépasser ; en insistant sur le fait que l'article 475 du code pénal était susceptible d'être réformé si nécessaire. Mais, vouloir réformer l'article 20 ou d'autres du code de la famille, c'est presque être hérétique. Il s'agit là des droits des enfants et du devoir de les protéger et non pas des droits des adultes de s'approprier le sort des femmes et des enfants en toute impunité. C'est une question de justice et d'équité fondamentale avant d'être une question d'opportunité. C'est pour cela que je ne peux pas être d'accord avec le ministre de la Justice et des libertés dans son approche. Et je maintiens les propositions de modification de l'article 20, 21 et 22 du code de la famille. Il conviendrait de rappeler ici que la nouvelle Constitution du pays prévoit dans l'article 71 que la réforme du code de la famille et du code civil est du ressort du Parlement. Il est donc possible de modifier et réformer ces codes chaque, fois que c'est nécessaire.