Alors que le centre de gravité bascule vers le continent noir, les Etats africains peinent toujours à renforcer leurs partenariats et les échanges Sud-Sud. Et c'est les groupes privés qui investissent à tours de bras dans le continent, en attendant une véritable volonté politique de changer la donne. Le 25 janvier, la ville de Rabat a pu rassembler le gotha africain. Entre anciens ministres, chefs d'entreprises et chercheurs, ils étaient environ 200 invités à débattre de l'avenir de l'Afrique dans le cadre du Forum de Rabat, le futur «Davos africain». Placée sous le thème « Enjeux d'une intégration régionale africaine», cette journée, organisée par le Conseil du développement et de la solidarité (CDS ), est riche en enseignements et en échanges. En atteste le discours de Youssef Amrani, ministre délégué aux Affaires étrangères et à la coopération du Maroc, qui a mis en exergue le potentiel énorme dont regorge le continent et la nécessité de renforcer les relations entre les Etats africains. Ce potentiel est, apparemment, bien exploité par le leader des télécommunications au Maroc, Maroc Telecom. Ce dernier ne lésine pas sur les moyens en investissant dans les infrastructures de plusieurs pays africains. D'ailleurs, sur ce point bien précis des infrastructures, il convient de s'attarder sur l'intervention de Oumar Yugo, président du Cercle international des décideurs (CID). Manque d'infrastructures «Il y a un énorme retard en termes d'infrastructures terrestres, ferroviaires et aériennes. Il est malheureux de constater qu'il est plus facile, à titre d'exemple, d'aller à Paris d'un pays africain que de voyager d'un Etat africain à un autre», lance Oumar Yugo, non sans amertume. Selon lui, il faut relancer de grands projets d'infrastructures ainsi que les réformes, et maintenir l'accélération des réformes institutionnelles qui ont permis à l'Afrique de réaliser un taux de croissance annuel moyen de 5% entre 2000 et 2008. De plus, la lourdeur administrative, la corruption et la non-transparence, notamment des appels d'offres publics, plombent le maintien de cette croissance. «Il faut mettre en place de véritables réformes institutionnelles. Sur le plan commercial, il existe un énorme déphasage entre les lois des Etats et celles des régions. Il est très difficile de collaborer pour deux entreprises de différents pays africains. Il faut harmoniser les textes avec une coordination des traités existants», recommande le président du CID. Défaut d'intégration régionale Sur le registre des obstacles à un développement harmonieux du continent africain, figure en premier plan le manque d'intégration régionale. C'est d'ailleurs l'une des intégrations les plus faibles au monde. «Les relations régionales représentent moins de 10%. Il faut changer cette donne et marquer une rupture avec les relations de dépendance post-coloniales», déclare Philippe Hugon, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste de l'Afrique. Toutefois, la dynamique enclenchée ces dernières années dans certaines régions du continent a créé un cadre favorable à cette intégration à un niveau plus global. De plus, avec le déplacement du centre de gravité mondial et un basculement des richesses avec une Europe en crise et des Etats-Unis trop endettés, cette intégration a plus de chance de réussir. Cependant, la volonté politique doit suivre. Et c'est là où le bât blesse ! Coopération triangulaire Car il faut le savoir, tous les ingrédients sont réunis pour concrétiser cette intégration. Il y a eu un désendettement de la majorité des pays africains, un renchérissement des matières premières ces dernières années, l'émergence d'une classe moyenne et surtout l'augmentation des échanges intra-africains qui représentent aujourd'hui 40%, alors qu'il s'agissait de 27% il y a quelques années. Bémol, ces mutations majeures n'ont pas été accompagnées de véritables mesures diplomatiques ni d'instauration de règles et accords entre les différents Etats du continent. C'est dans cette optique que Fathallah Sijilmassi, DG de l'Agence marocaine de développement des investissement (AMDI), a tenu à interpeller les responsables présents à accélérer la conclusion des accords de libre-échange entre le Maroc et l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et la CEMAC (Commission de la communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale). En attendant, le continent peut toujours compter sur la percée de grands groupes privés comme ceux du Maroc (Attijariwafa bank, BMCE bank, Maroc Telecom, groupe Saham…) et également sur le leadership et l'expertise de certains Etats comme le Maroc, l'Afrique du Sud ou encore le Kenya qui prônent de plus en plus une coopération triangulaire (Nord-Sud-Sud). IAM investit l'Afrique Le groupe Maroc Telecom maintient son leadership africain. C'est le principal constat de l'intervention de son PDG, Abdesslam Ahizoune. Ce dernier a même fait une annonce de taille. En effet, outre les 5 pays où le groupe est présent à travers des filiales et où il est également leader, il y aurait de prochaines acquisitions et implantations dans 10 autres pays où IAM est actuellement en prospection. De plus, Ahizoune a annoncé la mise en place d'un câble terrestre à fibre optique qui s'étalera sur 5 380 kilomètres et liera Ouagadougou à Rabat, en passant par Nouakchott. Il sera prolongé jusqu'en Europe, grâce à la liaison du câble Atlas Offshore et à l'Ouest via les réseaux de la Côte d'Ivoire et du Ghana. Selon le PDG d'IAM, les trois clés de succès pour une présence confirmée du Maroc en Afrique se résument en une diplomatie marocaine forte et un engagement sans faille, au renforcement de l'investissement, en dotant les pays africains d'infrastructures basiques performantes et, enfin, en la formation des ressources locales et leur accompagnement tout en préservant les spécificités culturelles de chaque pays.