Saad Hassani est fasciné par le corps, et ne se lasse pas de le mystifier… ou le démystifier. En flirtant avec les lignes, les ombres et les matières, l'artiste-peintre revendique une sensualité sobre, toujours plus contemporaine. Inconditionnel du corps humain dans son expression la plus abstraite depuis 1982, Saad Hassani récidive avec « Le corps et la nuit », titre prêté par Tahar Ben Jelloun pour sa nouvelle exposition à la galerie Jad à Casablanca. Une exposition où le silence semble nimber ses mystérieuses silhouettes, qui oscillent entre éléments abstraits et figures humaines. Auto-portrait ? Miroir ? Dans « le corps et la nuit », le corps est flouté, dématérialisé, asexué, telle une matière minérale, qui se noie ou flotte, au gré de ses propres vérités et travers. En recourrant au plexiglas et à la tôle, l'artiste tend vers plus de contemporanéité, et jongle entre embrasement mystique et minimalisme brut. Pourquoi le thème du corps est-il récurrent dans vos oeuvres ? Le corps est un sujet fort. Dans le domaine pictural, le corps est toujours présent, depuis la renaissance italienne. Je suis poursuivi par cette réflexion, et il m'est difficile d'arrêter. Je reprends toujours le travail sur le corps pour lui donner un autre souffle, vu le recul que j'ai par rapport à mes oeuvres précédentes. et je trouve toujours une manière de l'enrichir, de le modifier ou d'éliminer certains éléments. Dans «le corps et la nuit», j'ai associé un jeu de miroir à l'aide du plexiglas et de la tôle pour crééer davantage d'intrigues, et ramener le regard extérieur à son propre corps et à sa propre image. Vous avez introduit de nouvelles matières, une démarche assez rare au Maroc. Quelle en est la raison ? C'est une nouveauté pour moi aussi (sourire). Le fait d'intégrer un élément du quotidien était pour moi une agréable surprise. Toutes les lumières zénitales qui m'accompagnent au quotidien dans mon atelier sont faites de tôles ondulées et transparentes, et à force de vivre parmi ces éléments urbains, je me suis dit pourquoi ne pas les intégrer dans ma peinture. C'est une façon d'avancer dans le temps aussi, et de ne pas tomber dans le répétitif. Vous avez une palette de couleurs assez particulière, faite de matières sourdes et rassurantes. Quel est votre rapport avec les couleurs ? La couleur se matérialise par rapport à un sujet bien déterminé. C'est une question d'atmosphère, et c'est un élément qui dépasse l'esthétisme. Souvent dans les couleurs sourdes, ou ténébreuses que j'utilise, l'apaisement prime. Il s'agit de pousser le regard à créer des moments de silence. Le travail pictural n'est pas un objet de séduction, il est surtout une expression profonde d'un état d'esprit, d'un moment qui nous échappe. C'est une thématique vaste. Est-ce à l'artiste de la définir ? L'artiste réagit d'une manière instinctive, et un peu animale. C'est comme pour la matière. A force de connaître ses matériaux, il en maîtrise le mécanisme, et se laisse emporter par une sensualité qui devient magistrale, surtout quand il fabrique sa propre matière. J'aime bien travailler avec les pigments, c'est une façon de maîtriser la matière et de revendiquer ma liberté. Je fais ma propre cuisine. Vous voyagez beaucoup, et vous avez un atelier assez atypique à Casablanca. Pourquoi cette fascination pour les lieux ? J'ai une relation exceptionnelle avec les lieux, et j'ai toujours eu des ateliers incroyables. C'est un moment particulier d'être dans un atelier, dans ce territoire en retrait par rapport au monde extérieur. J'ai deux ateliers, un à la campagne et un en ville, et je jongle entre les deux. Mon atelier à Casablanca est une cour ouverte, dans un quartier d'artisans, de menuisiers et d'orfèvres. Vous êtes très proche de Tahar Ben Jelloun. Qu'est-ce qui vous unit ? Nous nous connaissons depuis plus de 30 ans. Nous sommes unis par un partage qui nous permet de vivre des moments exceptionnels, par l'intérêt de la vie, d'être face aux choses essentielles ; le cinéma, la musique, l'art, la poésie. Pour moi la notion de partage est essentielle dans une relation amicale. Quand j'ai des affinités avec certaines personnes, je me laisse aller à l'échange. Quand je suis préoccupé par un boulot, ou que mon propre travail me dépasse, m'intrigue et me pousse à me poser des questions, j'appelle mes amis, dont Tahar Ben Jelloun, et je discute. C'est qui d'ailleurs lui qui a donné le titre «Le corps et la nuit» à cette exposition.