Abderraouf Ayadi, Secrétaire général du Congrès pour la République (CPR), le nouveau parti présidentiel. Avant de succéder à Moncef Marzouki à la tête du CPR, Abderraouf Ayadi a été l'homme de confiance du nouveau président, mais aussi son compagnon de lutte de longues années durant. Avocat de profession, il est surtout un grand militant des droits de l'Homme. Ayant goûté, six années durant, aux geôles de Ben Ali, son intégrité et sa foi en les libertés est reconnues de tous. Âgé de 51 ans, le voilà aujourd'hui à la tête du parti présidentiel, après avoir refusé un portefeuille de ministre. Nos politiques peuvent en prendre de la graine ! La Tunisie célébrera samedi le premier anniversaire de la chute de Ben Ali. Êtes-vous satisfait du processus de transition démocratique ? Je suis partiellement satisfait. On se trouvait devant un vide institutionnel, maintenant on a fait de grands pas : nous avons déjà un gouvernement, un président de la République, un Conseil constitutionnel. Donc l'essentiel du vide a été rempli. Maintenant il y a un problème au niveau de l'Administration. On a vécu un sabotage, prémédité bien-sûr, par ceux qui étaient à la tête de l'Administration, et qui collaboraient avec l'ancien régime. Ceci après la chute de Ben Ali ? Oui, au temps de la transition démocratique. La corruption battait son plein, elle a même pris une vitesse de croisière. Ils ont établi une situation de ruine, pour que le gouvernement se trouve face à l'incapacité de faire quoi que ce soit. Je crois que cela a été fait par des anciens de Ben Ali, sa police politique, mais aussi par des services de renseignements étrangers. C'est-à-dire ? Nous nous limiterons à cela. Comment comptez-vous combattre les restes du Benalisme dans ce cas ? Nous appelons à ce que les anciens rendent compte de ce qu'ils ont fait, et pourquoi pas ne pas créer une commission vérité et réconciliation. On a déjà un ministère de la Justice transitionnelle, et ce pour que le peuple connaisse la vérité, ensuite pour démonter les mécanismes de la corruption et de la répression, délimiter les responsabilités, et puis pour les cas très graves ,il faut que justice soit faite. Pour les autres, il faut qu'ils demandent pardon au peuple, et instaurer une réparation. C'est ce qu'on appelle la justice transitionnelle. Pas de chasse aux sorcières alors ? Non. C'est justement ce qu'on ne veut pas. Comme pour tous les bâtiments stratégiques, l'armée stationne en permanence devant le ministère de l'Intérieur. Beaucoup de choses se sont dites sur la nouvelle majorité, jugée contre-nature. Comment se passe la cohabitation ? Notre rapprochement avait commencé, déjà, avant la chute de Ben Ali. Le clivage droite/gauche n'existe pas chez nous. Ce sont des termes importés d'Europe, et surtout de la vie politique française. Ennahda a ensuite fait beaucoup de concessions idéologiques, concernant les acquis de la femme, les liberté individuelles, etc… En fait, on avait commencé à militer ensemble dans le mouvement dit du 18 octobre, lorsque nous avions organisé une grève de la faim, le 18 octobre 2005, avec plusieurs tendances, dont un membre d'Ennahda. Durant cette grève, nous avions militer à l'époque pour ce qu'on appelait le «Smig» démocratique : vider les prisons des détenus politiques, respecter la liberté d'expression, les droits de l'Homme. C'est donc tout naturellement que nous avons décidé de nous allier après l'élection de la Constituante. Quelles sont les priorités du nouveau gouvernement ? Tout le monde dit que la priorité s'est la résolution des problèmes socioéconomiques, dont le chômage notamment. Comment allez-vous faire alors que le gouvernement n'est que transitoire ? Au début, Ennahda avait appelé à un gouvernement de gestion des affaires courantes, ce que nous refusions catégoriquement, car on ne peut pas reporter la résolution de ces problèmes pour une année de plus. Il faut donc commencer les réformes dès maintenant car la situation du chômage ,en particulier, est très préoccupante. C'est sûr qu'on ne va pas tout résoudre, mais il faut quand-même mettre la locomotive sur les rails. Dernièrement, Marzouki a lancé un appel à observer une trêve sociale de six mois, pourquoi ? Tout simplement pour permettre au gouvernement de régler sereinement le problème du chômage. Si on n'a pas cette paix sociale, on aura du mal à appeler les entreprises à investir. On commence déjà à avoir des fuites de capitaux. Je crois que ceux qui ont perdu les élections ont opté pour une politique de sabotage. On entend beaucoup parler de l'insécurité en Tunisie. Marzouki avait d'ailleurs demandé à la police de se remettre au travail. Où en est-on aujourd'hui ? Le plus grand problème aujourd'hui c'est la perte de confiance, personne ne croit en l'autre. Il y a un climat de méfiance mutuel. La police était un des piliers majeurs du régime de Ben Ali. On est conscient qu'elle ne peut pas changer du jour au lendemain, il y a des poursuites qui peuvent être déclenchées sur plusieurs d'entre eux, des centaines ou sinon des milliers. Ils ont donc constitué leur syndicat, qui est responsable maintenant de l'insécurité dans laquelle se trouve une partie du pays. C'est plus qu'une crise de confiance, c'est une politique pour échapper à ses propres responsabilités. Marzouki a récemment effectué une visite à Tripoli. Est-ce que la Libye peut être un débouché à quelque 1 million de chômeurs que compte la Tunisie ? Oui, sans conteste. La libye est effectivement un grand débouché pour nos demandeurs d'emploi. Et puis cette contagion révolutionnaire a eu comme conséquence de nous rapprocher encore plus, on a beaucoup de points en commun. Les frontières entre nous sont vraiment artificielles. Sfax qui est ma ville d'origine, est pratiquement la capitale économique des libyens (rire). La complémentarité s'impose, pourquoi ne pas alors penser à l'unité des peuples, si les gouvernements ont échoué dans cette mission ? Maintenant que les peuples se libèrenwt, on peut dèsormais rêver d'une intégration beaucoup plus poussée : levée des douanes, unité monétaire, etc… Qu'en est-il de l'Union du Maghreb arabe ? Justement, l'Union du Maghreb arabe se fera à travers la libération des peuples. Ce sont les révolutions qui vont nous unir. Avant c'étaient les gouvernants qui parlaient, maintenant c'est autour des peuples de le faire. L'UMA est aujourd'hui beaucoup plus réalisable qu'avant. Pourtant la situation est toujours bloquée, les frontières maroco-algériennes sont toujours fermées !Restons optimistes, il y aura des changements, j'en suis certain. Plus vite que l'on ne le pense. Les équilibres de tout le Maghreb sont en train de changer, dans un sens qui va permettre aux peuples d'avoir le dernier mot. Avant on provoquait des crises entre les Etats pour maintenir un certain équilibre, maintenant la logique des crises est dépassée, c'est la logique révolutionnaire et celle des libertés qui vont créer un nouvel équilibre. Comment jugez-vous les réformes qui ont eu lieu au Maroc ? Le Maroc a réalisé des réformes pour éviter la révolution. Ce sont des réformes préventives. C'est tant mieux pour le Maroc, surtout s'il peut éviter les bains de sang. La révolution peut se faire de différentes manières. Si elle se réalise avec le moindre coup ,ça ne peut être que bénéfique pour le peuple marocain