« Le 28 septembre 1973 commence la troisième guerre mondiale : le premier jour de tournage de Chinatown. » C'est ainsi que le producteur du film, Robert Evans, évoque les relations conflictuelles qui sévirent sur le plateau du chef-d'œuvre de Roman Polanski. Avant que ce dernier ne prenne connaissance de l'existence du projet, Robert Towne avait déjà travaillé sur le scénario pendant deux ans. Cette histoire prenante mais trop confuse et trop longue fut retravaillée par le réalisateur qui supprima la moitié des personnages originels. Quand le tournage commença, le scénario définitif n'était même pas achevé. Un différent sur la fin du film opposait Polanski et Robert Towne. Ce dernier souhaitait mettre en avant le personnage féminin dans un happy end alors que le réalisateur ne trouvait un sens au film que dans une fin tragique, pleine de fatalité, à l'instar des grands classiques du film noir. Et c'est Polanski qui l'emporta avec une fin qui s'avéra plus efficace. « Chinatown » fut donc le dernier film que le cinéaste d'origine polonaise tourna sur le sol américain, qu'il fut contraint de quitter sans retour pour les raisons que tout le monde connaît et qui ont fait l'objet d'une arrestation spectaculaire en Suisse voilà deux ans. Avec « Chinatown », Polanski nous livre un classique du film noir, envoûtant, vénéneux et glamour à souhait. à Los Angeles en 1937, le détective privé J.J. Gittes (Jack Nicholson), reçoit la visite d'une femme ravissante qui lui demande de faire suivre son mari, un ingénieur des eaux. Gittes mène son enquête et renifle bientôt le sac d'embrouilles, notamment une affaire de corruption… « Chinatown» , c'est d'abord le climat rétro des années 30 sublimé par l'œil de Polanski. Los Angeles plombée par la canicule, des voitures de rêve, des personnages hauts en couleur, une violence et une tension certaines … Polanski retrouve l'atmosphère et la classe des films noirs hollywoodiens d'antan sans pour autant sombrer dans la réplique nostalgique et aseptisée. L'enquête tortueuse se fait en eaux troubles, dans un univers poisseux et malsain. Un puzzle complexe qui cache des rapports de force cruels, ambigus, inavouables. Brave type accablé, volontaire, mais toujours en retard, Gittes court après ce qu'il favorise lui-même. Dans la peau d'un détective privé désabusé, teigneux et un peu loser, Jack Nicholson fait merveille et réussit l'une de ses plus brillantes compositions à ce jour. Le sparadrap sur son nez coupé est une façon ironique de souligner que son flair est mis à rude épreuve dans cette affaire tragique où tout le monde semble jouer double jeu. Faye Dunaway est fatale à souhait et John Huston campe un pervers très convaincant. Mélangeant à la fois le thriller et histoire d'amour, le film policier et le film épique, « Chinatown » apparaît comme un hommage vibrant au film noir… Polanski montre les années trente via l'objectif d'une caméra des années soixante-dix, en reconstituant le monde et l'époque des romans de Hammett et Chandler. Les références aux films de Bogart sont narratives ou scénographiques et on parlera plutôt de clins d'œil que de citations ou d'emprunts significatifs. Film californien sur la Californie, « Chinatown » est aussi un film hollywoodien sur Hollywood et sans doute l'un des plus forts moments cinématographiques des années 70.