En 2009, la sexologue, psychiatre et psychothérapeute Nadia Kadiri publie, en collaboration avec la psychiatre Soumia Berrada, un manuel d'éducation sexuelle destiné aux jeunes. Ce guide a-t-il fait son effet depuis ? Le manuel a été accueilli avec beaucoup de sérénité et d'enthousiasme. C'est dire que la Marocaine et le Marocain sont capables de distinguer un produit «honteux» de celui qui traite de sujets éducatifs en les respectant », explique Nadia Kadiri. Mais, manifestement, les Marocains n'ont pas assimilé le livre des deux sexologues, plusieurs pratiques sexuelles s'avérant être déviantes à l'égard de la religion et tombant dans l'hypocrisie sociale. Deux ans après la publication du guide, Nadia Kadiri fait le point. « La moitié de notre population est jeune, et, aujourd'hui encore, des jeunes filles entament une vie sexuelle sans y être préparées. L'entourage et l'éducation n'inculquent rien en matière d'hygiène corporelle, de contraception et des risques d'un coït sans protection », constate Nadia Kadiri. Cette dernière trouve que les jeunes garçons conçoivent encore les filles comme un objet sexuel. Dans la majorité des cas, ce sont des prostituées qui éduquent sexuellement ces mêmes garçons. L'entourage et l'éducation n'inculquent rien en matière d'hygiène corporelle, de contraception et des risques d'un coït sans protection », constate Nadia Kadiri. Cette dernière trouve que les jeunes garçons conçoivent encore les filles comme un objet sexuel. Dans la majorité des cas, ce sont des prostituées qui éduquent sexuellement ces mêmes garçons. Des chiffres pas du tout sexy « Les garçons sont très mal ou pas informés. Aucune responsabilité. Ils vont vers les jeunes filles pour calmer leurs fortes pulsions. Si la fille tombe enceinte, ils ne se sentent pas concernés. D'ailleurs, beaucoup de jeunes hommes ont leur première relation sexuelle avec une prostituée. Alors que la première relation doit être vécue d'une façon exceptionnelle… », précise la sexologue. Ce genre de première expérience, souvent « bâclée », engendre chez les Marocains un grand nombre de problèmes dans leur future vie de couple . La perversion, par exemple, de personnes en manque affectif ou sexuel, peut pousser à des violences sexuelles contre les enfants et les femmes ou encore engendrer des grossesses indésirées. «Une étude américaine avait mentionné un taux d'abus sexuel de 9,2 % », nous révèle Nadia Kadiri. Pour ce qui est des grossesses hors mariage, les chiffres – officiels – de 2002 parlent de « 300 000 enfants abandonnés et récupérés par les orphelinats. En 2008, au moins 800 IVG quotidiennes, effectuées dans des conditions d'hygiène très douteuses, ont été recensées », nous confie-t-elle. Peu informés en matière de sexualité, les Marocains vivent très mal leurs problèmes sexuels, selon la sexologue. « Les dysfonctionnements sexuels chez la femme au Maroc sont de 26,6%. Chez l'homme, les troubles érectiles sont, eux aussi, fréquents. D'après une étude que j'ai réalisée sur Casablanca avec un groupe de sexologues, 54 % des hommes souffrent de problèmes d'érection et d'éjaculation précoce», raconte la sexologue. Ce qui doit changer aujourd'hui L'ignorance fait que bon nombre de Marocains ne se protège pas contre les infections sexuellement transmissibles (IST). « Selon l'OMS, le nombre de cas d'adultes et d'enfants vivant avec le VIH en 2007, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, s'élève à 380 000, et ces chiffres sont en augmentation », souligne Nadia Kadiri. En 2009, une étude réalisée sur la virginité au Maroc par un groupe de sexologues a confirmé que la sodomie reste l'une des seules échappatoires aux pulsions tues par les jeunes filles. Les résultats indiquent que la virginité doit être préservée, jusqu'au mariage, même si la jeune fille a déjà une vie sexuelle. « Pour concilier la contrainte biologique et sociale, les filles ont donc souvent recours à des arrangements… La préservation de la virginité devient alors hypocrisie », constate la sexologue. Aujourd'hui encore, les choses n'ont pas ou très peu évolué. « Vivre sa sexualité au quotidien est complexe et reste lié aux règles de la société en matière de libertés individuelles, d'émancipation des femmes et d'éducation sexuelle. C'est la raison pour laquelle la virginité féminine est toujours considérée comme une «valeur» à préserver, que les rapports sexuels hors mariage sont prohibés et que la sexualité n'échappe pas à l'expression de rapports de force sociaux et économiques entre les hommes et les femmes. » Interrogée sur la manière avec laquelle l'éducation sexuelle doit être dispensée, Nadia Kadiri évoque trois points essentiels : « Acquérir des comportements de prévention contre les MST (maladies sexuellement transmissibles, ndlr), les violences sexuelles et les grossesses hors mariage». La maturité psychologique permettra une maturité sexuelle. La confiance et l'aisance pendant le rapport suivront. L'éducation sexuelle se fait alors à la maison, par le biais de parents avisés, et à l'école, via des documentaires éducatifs, des tables rondes et des ateliers, et non pas sur Facebook.