Après avoir réalisé des performances indéniables ces huit premiers mois, le secteur du textile pourrait revenir vers la zone de turbulences avant la fin de l'année 2011. Pour préparer la parade, un comité de vigilance a été créé et une diversification des marchés devrait être opérée. Le point avec Mohamed Tazi, DG de l'AMITH. Le Maroc a enregistré le meilleur taux d'évolution au premier semestre de cette année en termes d'exportation vers le marché européen. Cette évolution a été réalisée après la défection des marchés tunisien et égyptien, mais également par un ré-arbitrage des politiques d'approvisionnement des principaux donneurs d'ordre. Mohamed Tazi, DG de l'Amith (Association marocaine des industries du textile et de l'habillement), revient sur cette performance, mais ne cache pas son inquiétude pour les prochains mois. Explications. Comment s'est comporté le secteur du textile ce premier semestre ? Le secteur a vécu une véritable reprise ce début d'année. En 2010, l'évolution du secteur avec un taux de 7 % a été jugée remarquable et la tendance a été maintenue jusqu'à début 2011. Les pertes de capacité, la pénurie de main- d'œuvre et le renchérissement des matières premières ne sont plus d'actualité et le secteur a marqué un boom avec une progression de plus de 10%. Quelles sont les raisons derrière le classement du Maroc comme meilleur fournisseur pour les donneurs d'ordre du pourtour méditerranéen ? Au premier semestre 2011, nous avons réalisé une augmentation de nos exportations sur tous les marchés européens : en Espagne, le taux de cette évolution a atteint 25%. En France, nous avons marqué un bond de 8 %, alors que sur les marchés britannique et portugais, les taux étaient respectivement de + 12 % et + 44%. Cette hausse des exportations a été réalisée, en premier lieu, grâce aux ré-arbitrages des politiques d'approvisionnement des donneurs d'ordre européens en faveur du sourcing de proximité, comme la Turquie et les pays du Maghreb, et aux dépens des fournisseurs asiatiques. La Chine n'est-elle plus un concurrent de taille ? Vous savez, la Chine a changé de stratégie ces derniers temps. Elle se concentre davantage sur son marché interne que sur l'export. La récente hausse des salaires a boosté la consommation interne et l'a dynamisée. Donc, les professionnels du secteur en Chine ont préféré exploiter ce marché lucratif et réduire leur capacité de production. De plus, Il y a eu un renchérissement des coûts au niveau de la logistique et de la main- d'œuvre. Ce différentiel de coûts a été très important cette année, ce qui a poussé les principaux donneurs d'ordre européens à réorienter leur stratégie d'approvisionnement vers les pays plus proches qui offrent des produits de meilleure qualité. Ceci a profité pleinement au Maroc et à la Turquie, en particulier. Sur le marché français, par exemple, alors que le Maroc occupait le troisième rang en 2010, il a gagné un rang cette année juste derrière la Turquie qui a réalisé 553 millions d'euros. Le Maroc, quant à lui, a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 445 millions d'euros sur le marché français. Nous avons observé un climat inhabituel dû à la chute drastique des ventes en magasins chez nos principaux clients européens. Qu'en est-il des perspectives de croissance du secteur cette fin d'année ? Nous sommes inquiets, malgré l'évolution significative enregistrée les huit premiers mois de cette année. Lors de nos participations aux différents salons en Europe, nous avons observé un climat inhabituel dû à la chute drastique des ventes en magasins chez nos principaux clients européens. Ce constat pousse les enseignes à limiter leurs achats et leurs commandes pour pouvoir écouler leurs stocks. De ce fait, on suit avec vigilance ce qui se passe en Europe et, c'est vrai, on sent une certaine incertitude par rapport à la visibilité des commandes pour les prochains mois. Toutefois, je tiens à souligner que ce facteur exogène concerne tous les fournisseurs de l'Europe et ce n'est point une donnée particulière au Maroc . Que faire alors si la crise s'installe ? Nous avons créé un comité de vigilance qui analyse la consommation en Europe, les enseignes et l'évolution de leurs ventes ainsi que l'évolution du marché international par pays concurrent et par acteur. On pourrait démarcher de nouveaux clients. Cependant, je ne cache pas mon optimisme. Une étude prospective a été réalisée dernièrement chez les principaux donneurs d'ordre européens. Elle porte sur les politiques d'approvisionnement des grandes enseignes européennes sur les 5 prochaines années. On y apprend que le Maroc est très bien positionné. Ainsi, 30 % des enseignes ambitionnent d'augmenter de manière substantielle leurs approvisionnements du Maghreb. Pour la Turquie, il s'agit d'un taux de 12 % et de 15 % pour l'Asie. Une usine Benetton au Maroc ? Après avoir raté le coche lorsque Benetton voulait s'implanter en Afrique du Nord, le Maroc veut actuellement rectifier le tir. La seule usine Benetton dans la région qui est située en Tunisie et qui produit 40 millions de pièces serait en difficulté et une opération de charme a été déployée par nos responsables pour attirer l'enseigne vers le pays. En déplacement au Maroc, le top management de l'enseigne a été « bluffé » par les avantages offerts par le Maroc et si rien n'est encore officiel par rapport à un investissement de Benetton au Maroc, Mohamed Tazi reste confiant et optimiste quant à la création d'une usine, faisant ainsi du Maroc la troisième plate-forme de la compagnie après celle en Italie et dans les pays de l'Est. « Le prochain site marocain s'avérera très bénéfique pour l'enseigne qui servira plus vite leurs magasins aux Etats-Unis et vers le continent africain », nous déclare Tazi.