Alliage d'abstraction écrite et de signes arabo-islamiques, les toiles de Mehdi Qotbi reflètent l'empreinte de ses origines arabes et les jalons de son parcours européen. Sa prochaine exposition à Paris, « Ecrits et traces» à partir du le 19 octobre, revendique cette double identité. Après une enfance difficile, une renaissance spirituelle à Toulouse et une ascension fulgurante au cœur du gotha parisien, cet artiste mondain, exubérant et prolifique, figure clef des amitiés franco-marocaines, est aujourd'hui en phase avec son époque. Fait commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres en France en 2011, il est aussi le créateur d'une ligne de vêtements et de bijoux et l'heureux inspirateur de la maison Dior, qui a décliné récemment ses motifs en une nouvelle collection de foulards, disponible bientôt au Morocco Mall. Rencontre avec un artiste contemporain, qui dit « briller sous le regard de l'autre», un ingrédient qui a sans doute contribué à son impressionnante ascension dans la galaxie mondaine. Un artiste qui s'extasie surtout devant la chance inouïe qui pimente sa vie. Vous exposez «Ecrits et Traces» à Paris, à la galerie Rive Gauche, du 19 octobre au 5 novembre prochains. Quel est le thème de cette exposition ? J'y expose 64 toiles, des œuvres que j'ai affinées pendant deux ans, spécialement pour cette exposition. J'y affirme le lien entre mes appartenances afro-arabe et berbère. Je suis passionné par le masque africain, c'est comme ça que tout a démarré. J'explore le masque comme un complément d'écriture, comme une forme de lettre, comme un héritage dont je fais partie. L'Afrique a beaucoup apporté à l'art contemporain, et c'est dans le livre sur la vie de Modigliani que j'ai découvert que l'artiste a été influencé par l'Afrique, de même que Picasso. À quand remonte votre penchant pour la calligraphie et les signes ? Je n'ai eu aucune réflexion là-dessus au début, c'était instinctif : l'influence était le tapis. Quand j'étais enfant, je n'avais pas de jeu ni d'ouverture sur le monde extérieur, et je n'avais pas grand-chose comme loisir. Quand je rentrais de l'école, je trouvais ma mère devant l'énorme œuvre qu'elle travaillait et qui ressemblait à une peinture ou à une sculpture. Ça me fascinait. Vos toiles sont toujours le reflet d'un brassage d'influences. Toutes ces toiles abritent-elles des messages spécifiques ? Je ne fais jamais rien sans le cœur, rien sans amour. Il y a des choses qui ne peuvent pas être vues par le regard mais qui peuvent l'être par le cœur. La peinture elle-même est assez explicite ; elle est claire. Ce que vous faites avec le cœur est lu par les autres, nul besoin d'expliquer. Vous ne pouvez pas me demander ce que je veux dire, puisque tout est clair. Si mon travail a du succès dans le monde entier, ce n'est pas pour rien, c'est parce que c'est un langage, une forme d'affirmation culturelle, sans obstruction au voyage et à l'imaginaire. «À l'expo parisienne ‘'Ecrits et Traces'', j'affirme le lien entre mes appartenances afro-arabe et berbère. J'explore le masque africain comme un complément d'écriture, comme une forme de lettre». Morocco Mall s'est approprié l'une de vos œuvres… Morocco Mall a commandé une œuvre monumentale de forme ovale, qui comprend 80 toiles, 40 toiles de chaque côté. Elle est énorme et fait 8 x 6 mètres et sera présente à l'entrée du mall. Ceci montre que les organisateurs sont intéressés par l'art marocain, tout en étant en phase avec leur époque. Le premier message à l'entrée du bâtiment sera en couleurs et sous le signe de la culture et de l'art ; c'est une bonne chose. Une des toiles de Mehdi Qotbi Après toutes ces années passées en France, quel rapport entretenez-vous avec le Maroc et spécifiquement avec votre religion ? Je suis à la fois français et marocain, européen, africain et arabe, et tout ce brassage aboutit à ce que je suis maintenant. Je suis profondément croyant, je fais ma prière tous les jours ; c'est un besoin vital. Ma croyance est une richesse, car elle m'a permis de comprendre les autres religions, et c'est parce que j'assume totalement la mienne que j'accepte la différence des autres. Racontez-nous votre rencontre marquante avec Jilali Gharbaoui à Rabat… Je l'ai connu deux ans avant sa mort. Il avait un visage rayonnant, illuminé, avec des cheveux bouclés blancs. Le premier jour où je l'ai rencontré, il avait poussé deux collectionneurs à acheter mes dessins, pour le prix de 40 dirhams. C'était la première que j'empochais une somme pareille d'un seul coup. Avec cette somme, j'ai acheté des pinceaux et des couleurs ; c'est lui qui m'a mis le pied à l'étrier. On se voyait régulièrement depuis lors. On parlait peu, c'était un solitaire, il n'aimait pas la foule et n'aimait pas ce qui était faux. Je prenais beaucoup de lui, et je ne lui donnais jamais rien. J'ai toujours eu la chance de rencontrer des gens qui ont aimé ou apprécié ma présence. J'ai toujours eu une chance exceptionnelle. C'est une bénédiction du bon Dieu. Ma vie a mal commencé ; et plus je vis, plus elle devient belle. C'est impressionnant.