C'est un ouvrage remarquable que celui d'Ulrike Voswinckel et Frank Berninger Exils méditerranéens, traduit de l'allemand aux éditions du Seuil en 2009 par Allain Huriot. Un récit historique et littéraire parsemé d'extraits de correspondances et de journaux intimes des écrivains allemands qui se réfugièrent dans le sud de la France entre 1933 et 1941 pour échapper au nazisme. Tous ne purent pas s'exiler aux Amériques ou ailleurs et, de ce fait, il y en eut, parmi les plus illustres qui périrent tragiquement. Dans Le livre de la Riviera, cité en ouverture, Erika et Klaus Mann évoquaient le peintre Jules Pascin, idole de Montparnasse, à Sanary avant 1933, au Café de la Marine. Sanary appartenait avant-guerre, selon Klaus et Erika, les enfants du grand romancier Thomas Mann, à la chronique scandaleuse de la grande bohème européenne. Mais ce village du Var sera bientôt promis à un autre destin que de réunir les fêtes et les amours d'artistes et d'écrivains. En 1931, Klaus écrit à sa sœur : « Récemment, au Casino, Charlie Chaplin. » Le comédien et cinéaste interprétera plus tard et réalisera la plus célèbre charge contre Hitler, son film Le Dictateur. L'Allemagne était devenue une « maison de fous », selon l'expression du pacifiste René Schikele en 1932. En 1933, il écrivit à son amie Annette Kolb : « Les nazis ne font pas la différence entre les battements d'ailes d'un papillon et le comportement d'un traître à son pays ». Tout l'ouvrage est ainsi traversé de formules fulgurantes et désespérées. Ce sont les plus grands auteurs que l'on retrouve parmi les exilés qui vécurent sur la Côte-d'Azur ou y ont brièvement séjourné après leur fuite hors de l'Allemagne nazie : Walter Benjamin, Ernst Bloch, Bertolt Brecht, Alfred Döblin, Lion Feuchtwanger, et cette étonnante famille d'écrivains, les Mann : Thomas et Heinrich, Erika et Klaus, ou encore Anna Seghers. Entre avril et novembre 1933, il y eut, dans toute la France, environ 40 000 réfugiés allemands et parmi eux, ceux dont la présence marquait « un exode massif des poètes » ainsi que le dit Klaus Mann dans son beau livre de mémoires Le Tournant qu'on peut lire dans une collection de poche, et qu'il faut lire si l'on veut savoir quelque chose de l'Allemagne. Mais il y a les autres, ceux de « l'autre bord », et parmi eux le grand poète Gottfried Benn qui fustige ses anciens admirateurs à la radio de Berlin. En 1950, Benn dans son récit autobiographique Double vie rendra hommage à Klaus Mann : « Ce garçon de vingt-sept ans avait jugé la situation mieux que moi, prévu exactement l'évolution des choses, il avait pensé plus clairement. » À Sanary, Lion Feuchtwanger écrivait La Famille Oppermann, un roman rendant compte de la vie d'une famille juive de Berlin jusqu'à l'avènement d'Hitler. Klaus Mann fonda une revue de l'émigration littéraire mais des écrivains qui croyaient encore pouvoir sauver leurs relations éditoriales en Allemagne se désistèrent tandis que la presse nazie s'acharnait contre « les plumitifs juifs et communistes qui ont fui le pays [et] cherchent, depuis leurs repaires, à bombarder la nouvelle Allemagne de boules puantes. » En février 1936, Thomas Mann qui « céda définitivement aux demandes instantes » d'Erika et Klaus fut déchu de la nationalité allemande. Il n'était que le plus admiré des romanciers de langue allemande ! La revue fondée par Klaus, Mann avait cessé de paraître, faute de moyens, en 1935. Parmi les réfugiés à Sanary-sur-Mer, Franz Hessel (1880-1941) qui épousa Helen, mère de Stéphane Hessel, lequel est aujourd'hui le nonagénaire le plus célèbre de France après le succès mondial de sa brochure Indignez-vous ! Tandis que l'Allemagne attaque la Pologne le 1er septembre 1939, la France et l'Angleterre déclarent la guerre au IIIe Reich le 3 septembre. Pour les réfugiés anti-nazis, cela produit de la part de la France, la décision, dès septembre 1939, de les interner : « le fait que la France considère les ennemis d'Hitler comme ses propres ennemis leur paraissait des plus inquiétants. Mais, comme l'indiquent Voswinckel et Berninger, les premières détentions ne furent que l'avant-goût de celles qui suivirent, lorsque les troupes allemands eurent pénétré en France. » L'un des chapitres les plus émouvants d'Exils méditerranéens est celui consacré à Varian Fry, envoyé à Marseille par l'Emergency Rescue Committee et dont Hans Sahl écrit dans Survivre est un métier (traduit par Josette Calas et Fanette Leptit, aux éditions Austral en 1995) : « Imaginez un peu : les frontières étaient fermées, on était pris au piège, à tout instant on pouvait faire l'objet d'une nouvelle arrestation, ta vie était finie et voilà que tout d'un coup tu as devant toi un jeune Américain en bras de chemise qui te bourre les poches d'argent, passe son bras autour de toi et susurre avec l'air d'un conspirateur dont il joue mal le rôle : ‘‘Oh, il y a des moyens pour vous sortir de là'', et pendant ce temps, ô horreur, voilà que les larmes coulent le long de tes joues, mais oui, abomination, de vraies grosses larmes, et le gaillard, l'infâme, au demeurant un ancien étudiant de Harvard, sort pour de bon sa pochette de soie de la veste qui est sur le dos de sa chaise, en disant ‘‘Tenez, prenez-la. Elle n'est très propre, vous voudrez bien m'excuser'' ». Aucun article en relation !