Véritable scandale social aux dimensions multiples, dont la portée dépasse nos frontières, la pédophilie est aujourd'hui, plus que jamais, à l'ordre du jour. Que font nos autorités pour en limiter les drames ? Sommes-nous suffisamment conscients du danger que cela représente ? Le point. Aujourd'hui, la pédophilie est un drame social que l'on tente vainement d'éradiquer. Une certaine prise de conscience commence certes à se faire sentir. « Le discours anti-pédophile n'est devenu visible que depuis le début de la décennie actuelle, grâce à l'action d'associations de protection de l'enfance », constate Noureddine Harrami, anthropologue et professeur au département de sociologie de l'Université Moulay Ismail de Meknès. Il parle d'un phénomène qui n'a jamais bénéficié d'étude sociologique et que l'on met tout simplement sur le dos d'une «pénétration occidentale» et d'un recul des «valeurs authentiques» des Marocains. Dans la société marocaine, la pédophilie relève d'un sordide que personne ne veut s'avouer et qui contredit fortement la culture arabo-musulmane à laquelle tout le monde semble adhérer.Une hypocrisie que M. Harrami conçoit parfaitement : « Notre société, tout en exhibant haut et fort ses valeurs et modèles de conduite, signifie à ses membres que toute transgression doit se faire en cachette, sans scandale ». Ainsi, pour lui, pas de doute, il s'agit bel et bien de pratiques anciennes, antérieures à la colonisation et courantes dans la société marocaine comme dans d'autres. Il s'appuie donc sur l'existence de récits de voyageurs au Maroc du 18e siècle faisant part de pratiques que l'on peut classer sous la catégorie moderne de «pédophilie», notamment chez des confréries mystiques où l'initiation du jeune disciple passait par des services sexuels dont l'auteur n'est autre que le cheikh. Dans le cadre d'une société conservatrice, en apparence, et dans un nid de mensonge, la pédophilie a des causes à la fois psychologiques et sociales. La frustration soupçonnée s'établit alors à partir d'un contrôle trop aigu de la sexualité et peut donc être en l'absence d'opportunités d'une sexualité «vécue normalement», ce qui pourrait conduire certains adultes vers des «proies faciles». La prise de conscience par rapport à ce problème ne s'est faite que tardivement. D'autant plus que l'enfance a du mal à s'imposer dans une société où l'adulte est privilégié. Par contre, dans les sociétés occidentales auxquelles se rapporte la comparaison de l'anthropologue, la prise de conscience s'est faite plus tôt et se traduit par des mesures judiciaires rigoureuses et une importante médiatisation des affaires de pédophilie. La sévérité des lois occidentales a même fait fuir certains individus. La clientèle pédophile se déverse donc plus facilement et avec moins de contraintes dans un pays dans le besoin. En effet, la misère devient une fin qui justifie les moyens. L'enfant est de plus en plus érotisé du fait des diffusions pornographiques et du tourisme sexuel, mais « il est à noter que la clientèle que draine ce tourisme n'est pas uniquement étrangère. Elle est constituée aussi d'éléments nationaux », précise Noureddine Harrami. « Si une pratique interdite par une règle juridique ou sociale continue à exister, c'est tout simplement parce qu'elle dispose de preneurs », renchérit-il. De cette manière, la pédophilie n'est pas quantifiable. Et tant qu'il n'y aura pas de prise de conscience réelle, la société continuera de créer le mal dont elle souffre. Selon le psychiatre et criminologue Roland Coutanceau, le pédophile ne correspond pas à un profil type. Il classe cependant les pédophiles par rapport au passage à l'acte et leur perception de celui-ci. Ainsi, il énumère les « abstinents » dont la morale et l'éducation diabolisent l'acte, les « pédophiles névrotiques » qui en ont honte et demandent leur propre châtiment, les « séducteurs manipulateurs » qui ne cherchent que leur propre plaisir et, enfin, les « pervers prédateurs », catégorie la plus dangereuse qui chercherait à assouvir ses pulsions par n'importe quel moyen. « Face à ces personnalités très rares, on peut avoir le sentiment d'une certaine impuissance thérapeutique», dit le psychiatre qui a même du mal à justifier certains comportements. « Le pédophile est donc victime de ses fantasmes, mais le passage à l'acte, d'une manière ou d'une autre, le condamne à devenir le bourreau », nous explique-t-il. Qu'en est-il de la victime ? Le pédopsychiatre Amine Benjelloun, professeur associé de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à la faculté de médecine de Marseille, est catégorique : « les actions des associations, la manie des journalistes à vouloir relater des faits et l'entourage ne contribuent qu'à victimiser davantage la victime. Celle-ci se conforte alors dans ce nouveau statut et se verra encore à l'avenir en tant que tel ». Quoi qu'il en soit, un enfant abusé est un enfant dont la confiance a été trahie et qui vit un « rituel de désordre » : « l'entourage est souvent plus coupable que l'extérieur ». Un entourage dont l'enfant attend un minimum de protection. Mais dans la société marocaine, la bienséance veut que le «socialement correct» passe sous silence ce qui peut l'être: en connaissance de cause. «Un père qui ne fait rien est plus toxique par son silence puisqu'il ne joue pas son rôle de défenseur», insiste-t-il, tout cela pour sauver l'honneur d'une famille dont un membre est à blâmer. Pour témoigner de la particularité psychique de tout un chacun, Dr Amine Benjelloun raconte l'histoire d'un garçon ayant été menacé d'abus et dont la réaction première fut d'en avertir sa mère. Au moment de l'adolescence, «le secret entre mère et fils devient plus lourd que l'acte qui n'a pas eu lieu» puisque le père, ignorant ce fait, n'a pas pu remplir son rôle de défenseur de l'enfant. Le «rituel de désordre» est bien heureusement contrecarré par le «rituel d'ordre» qu'est la justice; et ce n'est qu'à partir de là qu'il y a un début d'aide et de soutien à la victime. On se demande souvent si un enfant maltraité devient un adulte maltraitant. Selon le pédopsychiatre, il n'y a aucune fatalité dans cet aspect puisque s'il est bien géré, il peut tendre à disparaître. Mais encore une fois, aucun automatisme. Pour ce qui est des moyens de prévention, aucun doute pour le Dr Benjelloun : « les associations doivent faire un travail en amont et plus silencieux » tandis que « les journalistes ne doivent pas se faire défenseurs de la cause mais travailler sur le fond et mettre l'accent sur ce que le dispositif de sanction réserve aux potentiels bourreaux ». Se faire défenseur de la cause ou non, les avis restent mitigés. Le point là-dessus dans notre édition de demain.