Les saints sont aujourd'hui tous ralliés au pouvoir pour contrer les mouvements islamistes. Mais les confréries ont perdu les campagnes et les couches populaires au bénéfice des islamistes. Notre vision du rapport entre le politique et le religieux s'articule autour du fait que le religieux est l'antichambre du politique ; et que ce soit le sultan ou le saint, les deux personnages intègrent toujours les cercles de la sainteté et de la politique avec une différence au niveau de la fréquence des interférences entre les deux cercles. C'est dire aussi que l'opposition entre les deux figures existe, mais ce sont les interprétations qui ne correspondent pas à la réalité locale et globale. Nous proposons de faire une lecture basée sur le schème suivant : depuis l'avènement du sultan sharif avec la dynastie sâadienne, le sultan est devenu le maître du champ politique et religieux, bien que dans la société (les tribus surtout) on assiste à une séparation entre le pouvoir politique des chefs et le pouvoir spirituel des saints. Ces derniers, loin du discours hagiographique (qui masque le pouvoir tribal), étaient dans la plupart des cas dominés socialement, et donc vivaient une opposition constante avec les chefs tribaux. Cette position les a poussés à intégrer le cercle du pouvoir central et à y trouver un appui pour contrer ou alléger la domination des chefs tribaux. C'est dire qu'il n'y a pas un idéal type du saint et du sultan et qu'il faudrait plutôt parler de plusieurs postures de saints et de sultans. Cela se répercute sur les multiples politiques envers les saints et les zâwiyas. Le maraboutisme n'est plus le seul garant de la monarchie. Même les ennemis pro-wahabites peuvent jouer ce rôle. Il sera donc question de discuter les idées exprimées dans certains écrits relatifs à la question et de montrer que la période décrite est celle de l'intronisation d'un sultan sharif qui a réussi à faire la jonction entre le sharifisme et le confrérisme à partir du XVIIe siècle. Ce nouveau type de pouvoir basé sur la violence physique et la violence sacrée a pu surclasser le pouvoir tribal des anciens empires et le pouvoir mystique des confréries (exemple : le cas de la Dilâ'iyya à laquelle appartenait al-Youssî). La littérature anthropologique sur le Maroc tient pour un fait historique l'origine religieuse des dynasties marocaines à travers des modèles où le religieux est une ressource qui construit l'ordre politique. Au regard de l'histoire de la dynastie alaouite, cette thèse est contestable et il est singulier que Geertz et Gellner – qui s'opposent par leurs approches – se rejoignent sur ce point. Nous admettons de notre côté que la dynastie alaouite s'est fondée sur l'origine sharifienne et sur un piétisme religieux mais pas sur la zâwiya en tant que foyer religieux d'une confrérie ou d'un maraboutisme local. Au début du mouvement, l'aspect guerrier et tribal était marquant au moment où cette force combattait Abî Hassûn as-Samlâlî, un descendant du pouvoir maraboutique d'Illîgh (étudiée par P. Pascon). Les alaouites vont par la suite combattre une grande puissance confrérique qui est la zâwiya des Dilâ' devenue le siège d'un pouvoir politique qui a soumis une grande partie du Maroc. La grande illustration de l'usage de la force se manifestera avec l'affaiblissement de la force tribale qui sera désarmée à la faveur d'une armée des esclaves créée par le sultan. Al-Youssî s'opposa sur ce point car une telle stratégie, à ses yeux, était dangereuse et risquait d'affaiblir le pays devant le danger ibérique. Le retard pris par les études historiques et anthropologiques sur les origines religieuses de la dynastie alaouite, peut s'expliquer par des facteurs que ni l'historien ni l'anthropologue ne doivent ignorer. La majorité des anthropologues, comme Gellner, Geertz ou encore Hammoudi, ont trouvé un terrain d'entente sur les origines maraboutiques de la dynastie des sharifs (parfois on parle même de zâwiya comme Geertz et Hammoudi). En l'absence de critères définissant la zâwiya ou le maraboutisme, ces anthropologues se sont efforcés d'établir un passage entre pouvoir religieux et pouvoir politique. Mais aucun écrit contemporain de la dynastie alaouite ne va dans le sens d'un mouvement politique qui aurait pris naissance au sein de la zâwiya. En effet, les sultans alaouites se sont toujours affiliés aux confréries marocaines connues et on n'a jamais trouvé de document constituant un appel des sultans à l'adhésion à une « confrérie alaouite ». La baraka des sharifs, considérée comme élément important du religieux, a facilité cette annexion des sharifs alaouites au monde du maraboutisme. L'opposition entre sultan et saints est finalement une construction «structurale» commode démentie par l'enquête historique. Le cas d'al-Yûsî montre que le saint n'ambitionne pas le pouvoir politique mais reste dans un espace de négociation, de conseil et de remontrance (qui ne masque pas la fidélité au pouvoir sultanien) qui évolue au gré des situations et des rapports de force. On constate que les saints étudiés par les historiens et les anthropologues ont collaboré avec les sultans puis avec l'administration coloniale. De nos jours, ils sont tous ralliés au pouvoir pour contrer les mouvements islamistes. Mais les confréries d'aujourd'hui ont perdu les campagnes et les couches populaires au bénéfice des islamistes. La crise que traverse actuellement la société marocaine, partagée entre les mouvances laïque, islamiste, amazighe et autres, joue en faveur de la monarchie. La personne du roi jouit d'un grand soutien des différents protagonistes, comme si la fragmentation socio-politique renforçait la monarchie qui, elle seule, symbolise l'unité perdue ou recherchée. Les confréries ne sont plus les seules à soutenir la monarchie. Une bonne partie des islamistes modérés s'allient politiquement à celle-ci. Cela veut dire que le maraboutisme n'est plus le seul garant de la monarchie et que même les ennemis pro-wahabites peuvent jouer ce rôle. L'idée de la réactivation du religieux est une grande source du changement politique et social au Maroc. Depuis la fin de la ‘asabiyya tribale (Ibn Khaldoun), la ‘asabiyya spirituelle domine depuis le XVIe siècle la scène politique et explique les changements survenus. La lutte entre lignage saint et lignage spirituel au sein des confréries et les luttes de pouvoir marquées par des colorations religieuses au sein de la dynastie alaouite sont le haut lieu et le symbole de cette réactivation religieuse qui ne donne pas forcément sur des impasses ou des récessions politiques. La réactivation religieuse tend à canaliser le discours politique et religieux autant vers la consultation juridique, Fatwâ, que vers la sacralité. Le champ politique de plus en plus envahi par les acteurs étrangers et la sacralité ne suffisent plus pour comprendre tout ce qui se passe dans la culture du pays. Jillali El Adnani Aucun article en relation !