Quelle place tiendra le Maroc sur la scène internationale ? Pour faire un tour d'horizon de la question, Le Soir échos a posé cinq questions à cinq spécialistes renommés. Par sa position géographique, ses multiples relations, principalement économiques, mais aussi ses liens historiques, le Maroc ne manque pas d'atouts pour s'imposer sur la scène internationale. Mais si économiquement, le leadership du royaume s'affirme dans la région, il peine à se concrétiser politiquement. Le potentiel est bel et bien là, mais le pays est ralenti par de nombreux chantiers inachevés. Le besoin de concrétisation des droits de l'homme, le « non-Maghreb » ou la question encore irrésolue du Sahara fragilisent la place du Maroc sur la scène internationale. Pour Zakaria Aboudahab, professeur de relations internationales à l'Université Mohammed V de Rabat-Agdal, « ce conflit hypothèque le Maghreb uni. Pour l'instant, il n'y a pas de lueur à l'horizon. Le Maroc et l'Algérie ont convenu de développer des accords économiques, mais sur le plan politique beaucoup de contentieux restent à résoudre ». Les spécialistes restent néanmoins unanimes sur le fait que le pays a un rôle à jouer, que ce soit dans la création d'un Maghreb uni, la résolution du conflit israélo-palestinien ou encore dans le développement des relations avec le continent africain. En instaurant la primauté du droit international sur le national et certaines avancées démocratiques, l'effet nouvelle Constitution peut servir de tremplin. Mais selon les spécialistes contactés, sur le long terme, le devenir du Maroc n'est pas celui d'une grande puissance à la politique étrangère audacieuse, mais plutôt celui d'une puissance régionale à la fonction modératrice. Akram Balkaïd, économiste spécialiste du Maghreb. L'économie est fondamentale car elle est l'une des principales grilles d'évaluation. Un pays dont l'économie tourne bien et représente un marché conséquent se fera toujours entendre sur le plan international. Il n'y a qu'à voir comment les pays émergents pèsent aujourd'hui. Cela étant, d'autres éléments comptent : la démographie, la puissance militaire, l'influence régionale et l'importance de la diaspora. De nombreuses initiatives diplomatiques marocaines visent à créer les conditions pour attirer des investisseurs étrangers. Pour ce faire, des efforts continus en matière de communication, de diversification et d'environnement des affaires sont indispensables. Nabli Beligh, directeur de recherche à l'Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe de l'IRIS. Les Européens ne misent pas sur tel ou tel état de la rive méditerranéenne, compte tenu de leur instabilité politique. Ils n'ont pas d'intérêt particulier avec le Maroc si ce n'est les relations amicales et institutionnalisées existantes. Le leadership du Maroc a été consacré sur le plan économique, avec un statut spécial pour les relations commerciales avec l'UE, mais pas sur le plan politique. A l'Union pour la Méditerranée, par exemple, le Maroc n'a pas réussi, au début, à s'imposer comme un acteur clé et c'est seulement grâce à l'instabilité dans le monde arabe qu'il a pu manœuvrer pour que le poste de secrétaire général soit confié à un Marocain (Youssef Amrani, ndlr). Quant au statut avancé, il est dû aux relations historiques que le Maroc entretient avec l'UE. Sur ce plan là, le pays a un petit temps d'avance et cette compréhension des enjeux européens remonte à Hassan II. Mais pour l'avenir, la Tunisie post-Ben Ali va chercher à bénéficier du même statut. Jean-Noël Ferrié, directeur recherche CNRS Techniquement, les affaires internationales font partie des prérogatives du chef de l'Etat, autrement dit du roi. C'est lui qui déterminera la place du Maroc sur la scène internationale. Je suis assez sceptique concernant un binôme à la tête de l'Etat marocain similaire au couple formé par Barack Obama et Hillary Clinton aux Etats-Unis. Si on prend aussi l'exemple français, c'est toujours le chef de l'Etat qui est en première ligne dans les relations internationales. Pour revenir sur le Maroc, et si on lit bien la nouvelle Constitution, ce sont avant tout les questions économiques et sociales qui constitueront le domaine du gouvernement et de son chef. Mais les avancées démocratiques de la nouvelle Constitution mettent le Maroc en bonne position pour avoir des relations importantes vis-à-vis de l'Europe et avoir une influence grandissante sur les pays de la région. Pierre Vermeren, historien, spécialiste du Maghreb. En cette période troublée et pleine d'espoirs, les Palestiniens et les Israéliens savent pouvoir compter, parmi d'autres partenaires, sur le Maroc. Les Israéliens ont été sidérés et effrayés par les révolutions arabes en cours. Le cas égyptien les a laissés sans voix et les événements de Syrie leur paraissent être un scénario de cauchemar. Les Palestiniens semblent avoir pris la mesure des événements en réunifiant, au moins en apparence, leurs deux principales forces politiques. Les Israéliens vont peut-être mesurer la nécessité de stabiliser leur front intérieur… et pour ce faire, ils savent que le Maroc, en qui ils ont très fortement confiance, peut être un facteur modérateur auprès des Palestiniens. La rupture des relations avec l'Iran et le rapprochement engagé avec les monarchies du Golfe par le Maroc militent en ce sens. Beaucoup de juifs israéliens sont originaires du Maroc. Le royaume doit utiliser leur confiance pour essayer de modérer cet électorat très radical. A ce stade, c'est certainement l'influence la plus positive que pourrait avoir le Maroc. Ali Sedjari, professeur de sciences politiques, titulaire de la chaire Unesco des droits de l'Homme. Les droits de l'Homme conditionnent les rapports inter-étatiques en améliorant ou discréditant la stature d'un pays sur la scène internationale. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils continuent à être instrumentalisés. Au Maroc, il y a eu trois étapes : la négation, puis la dé dramatisation et enfin la constitutionnalisation des droits de l'Homme. Dans la nouvelle Constitution, une place est accordée à la thématique des droits et libertés fondamentales des citoyens. De plus, la reconnaissance de la primauté du droit international sur le droit interne est prometteuse. L'Europe et les Etats-Unis ont apprécié cette évolution. Maintenant, on doit passer d'un élément de discours à une effectivité des droits, via le législateur et la formation des agents de proximité. Le Maroc peut donner un élan au niveau régional. Les révolutions arabes l'ont montré, les droits de l'Homme sont au cœur des revendications des citoyens. Céline Girard et Saïd Lahlou Merci pour la qualité de l'article et aussi celle des intervenants. C'est un bon exemple pour participer à élever le débat au Maroc. Ca fait partie de notre devoir d'éducation et notre engagement à élever le niveau intelectuel des lecteurs : il est souhaitable aussi (si vous le pouvez de mettre des réferences bibliographiques (au moins une par intervenant). Merci encore (un patriote ouvert au monde)