La chanteuse légendaire a majestueusement investi la scène du théâtre Royal Carré à Amsterdam, le dimanche 26 juin. Après des absences scéniques prolongées, la diva libanaise s'est finalement pliée aux demandes des organisateurs du festival, pour la plus grande joie de son public. Au milieu de mesures de sécurité sans précédent, et une queue dépassant 500 mètres à l'entrée du théâtre Carré d'Amsterdam, la grande chanteuse a fait une entrée spectaculaire, acclamée vivement par un public qui n'a pas souvent l'occasion de la voir sur scène. Locaux, expatriés libanais et arabes du Moyen-Orient étaient présents en masse à Amsterdam pour assister à la performance de la diva qui se fait rare depuis des années. Certains ont même fait le déplacement de très loin pour se délecter de ses grands classiques et de sa voix aux inflexions légendaires. Le directeur commercial du festival, Annet Lekkerkerker, a déclaré que les billets étaient vendus dès la première heure de l'annonce de la mise en vente. Mais les retardataires se sont consolés en se rabattant sur un écran géant qui transmettait le spectacle en direct dans un parc jouxtant la scène. A en croire l'audience qui a afflué dans la capitale néerlandaise, la voix et l'aura de la diva sont toujours intactes. A l'issue du spectacle, les spectateurs ont manifesté leur admiration, et, fait insolite, même les non-arabophones d'entre eux se sont extasiés face à l'immense talent de la star. Deux femmes âgées se sont exclamées en sortant du concert: «Quel show et quelle prestation ! Nous n'avons aucune idée de ce qu'elle chante, mais sa prestation est d'une incroyable beauté.» Le directeur artistique du festival, Pierre Audi, qui est d'origine libanaise, s'était personnellement investi pour attirer la chanteuse dans le giron de ce festival, et ce n'est qu'après maintes tractations que le contrat a été signé en automne 2010. Signalons que ce festival est un des événements artistiques les plus anciens de la ville d'Amsterdam et se tient depuis 1947. Ce concert marque le retour sur scène de Fayrouz depuis son dernier spectacle mémorable à Beyrouth en octobre 2010, ce dernier s'inscrivant lui aussi dans le cadre d'un come back après une absence prolongée de plusieurs années. Ses dernières apparitions scéniques remontaient à 2006 lors de la réédition de la pièce de théâtre Sah el Nom des frères Rahbani, et avant cela en 2003 au festival mythique de Beiteddine, fief de ses glorieux débuts. Il faut dire que la grande diva fuyait les projecteurs, confrontée qu'elle était dernièrement à des démêlés judiciaires avec les héritiers de son beau-frère Mansour Rahbani, décédé en 2009. Ce dernier, qui avait formé avec Assi Rahbani, grand artiste et mari défunt de Fayrouz, le duo mythique qui a fait le succès de la diva, lui interdisait de reprendre les chansons composées par les Rahbani et de rejouer les pièces écrites par les talentueux frères. A en croire l'audience qui a afflué dans la capitale néerlandaise, la voix et l'aura de la diva sont toujours intactes. Rappelons qu'à l'heure où le monde arabe s'émerveillait aux sons des mélodies hautes en romantisme des chanteurs tels que Abdel Wahab et Abdel Halim Hafez, le Liban voyait éclore la voix hors du commun de cette jeune fille et son timbre extraordinairement ambivalent. Le talent de Fayrouz a commencé à percer dans les années 50, à l'issue de sa rencontre avec les frères Rahbani. Repérée par le duo, elle devient leur muse, et le socle sur lequel ils bâtissent leur immense succès. Commençait alors pour le trio une série d'opus musicaux spectaculaires dont elle était toujours l'héroïne et le porte-voix. Le trio enchaînait les triomphes dans une succession de festivals, spectacles, opérettes, comédies musicales et albums. Dans ses films et ses pièces de théâtre, elle incarnait tour à tour la paysanne romantique, loyale et dévouée, ou la femme rebelle des années de guerre. L'engouement s'est vite mué en une véritable adulation du peuple libanais, et de très nombreux auditeurs arabes. Le raz-de-marée est incontestable : Fayrouz se hisse au rang d'icône du monde arabe. Adulée par tous, elle n'était pourtant pas une femme comblée. De nature réservée et introvertie, elle était souvent dépassée par son train de vie frénétique et surtout par les exigences des deux monstres sacrés, les Rahbani. Elle a surtout été frappée de plein fouet par la mort de sa fille, et les années de guerre où l'art au Liban devenait engagé, où il fallait prendre sur soi et travailler sans relâche. Après la mort de son mari Assi Rahbani, elle entama une collaboration musicale avec son fils, le compositeur et jazzman averti Ziad el Rahbani, enregistrant des albums plus jazzy et plus modernes, dans un registre qui ne lui ressemblait guère. Mais le public l'adulait toujours. Son album Eh fi amal (L'espoir fait vivre) est le tout dernier fruit de cette symbiose. Ce sont les morceaux de cet album ainsi que ses chansons cultes qu'elle a chantées à Amsterdam. Preuve de plus que c'est de son vécu que découlent sa gravité bouleversante et sa voix poignante.